L’affaire Thierry Paulin dans l’étau d’un film sociologique et d’une saga « podcastique »

Le 30 juin 2019, le journaliste Julien Cernobori entame la création de son podcast devenu culte « Cerno, l’anti-enquête » (129 épisodes à ce jour, en 6 saisons). Son intention est de traiter une affaire criminelle, 35 ans après les faits, et ce, à la manière d’un « reporter » qui retourne sur les lieux des crimes, afin de chercher à en retrouver toutes les traces et en faire remonter toutes les mémoires.

Cette affaire concerne les meurtres de vielles dames, perpétrés de 1984 à 1987, principalement dans le 18e arrondissement de Paris, par Thierry Paulin (le plus grand tueur en série français) et son complice, Jean-Thierry Mathurin.

Ayant habité et travaillé dans cet arrondissement à cette époque, je me suis passionné par l’écoute de cette série documentaire audio de grande qualité et en suis devenu un auditeur abonné et fidèle. 

Ainsi, lors d’un épisode, comme en aparté, Julien évoqua le film de Claire Denis « J’ai pas sommeil » tourné en 1993. Il confiera ensuite l’avoir contactée pour un échange, mais malheureusement en vain, la cinéaste ne donnant pas suite à sa demande. Ce refus m’a incité à visionner ce long métrage pour en découvrir le point de vue cinématographique afin de le mettre en perspective avec la démarche « podcastique » de Cerno. 

Claire DENIS n’a pas voulu faire un film reconstituant l’enquête policière, et pour que cela soit bien clair, elle change l’identité du meurtrier qui devient Camille dans le film. Elle s’inspire de ce fait divers (qui avait été très médiatisé)  pour réaliser une fiction sociologique qui lui permet d’évoquer artistiquement un état des lieux de la société en utilisant la grille idéologique dominante de l’époque ; alors que Julien Cernobori, dans sa position de reporter et chercheur, a voulu réaliser une anti-enquête qui le conduit à s’inspirer de la personnalité des victimes pour tenter de cerner celles de Paulin et Mathurin. Pour cela, il cherche sans cesse des pistes qui l’amène à rencontrer des personnes ayant de près ou de loin un témoignage à partager en relation avec son travail d’investigation. Ainsi, d’épisode en épisode, de témoignage en témoignage, de cul de sac en cul de sac, de digression en digression, et cela le plus souvent au long cours de rues parisiennes, il parvient à tisser une généalogie éclairante sur cette terrifiante histoire.

Claire DENIS réussie la fin de son film en parvenant subtilement à mettre à nu la personnalité duale de Camille. C’est le moment où sa famille et  son entourage apprennent la vérité. Il doit alors se montrer auprès d’eux sans son masque de normalité apparente. C’est une situation de rupture brutale, car chacun d’eux va devoir tenter de  comprendre comment Camille, coupable d’au moins une trentaine de crimes monstrueux, a pu être, dans le même temps, aussi banal et séducteur en partageant leur quotidien (familial ou amical), et ce, sans jamais éveiller le moindre soupçon sur ses actes meurtriers. 

C’est donc sur ce point d’orgue que s’achève le film. Je pense qu’il montre aussi une ouverture, je veux dire qu’il a la puissance émotionnelle qui pourrait rapprocher quelque peu les deux démarches, où à tout le moins favoriser la possibilité d’un dialogue pertinent entre Claire et Julien. Il est fort dommage que nous en ayons été privés.

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le 15 mai 2024

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