Qu'arrive-t-il quand on tire le diable par la queue ?

La vengeance et le thriller, en Corée, il en connaissent un rayon : Park Chan-Wook, Na-Hong Jin, Lee Jeong-Beom, Bong Jonn-Ho, tous s'y sont attelés, le plus souvent avec bonheur. Aujourd'hui, c'est Kim Jee-Woon qui régale, en essayant d'apporter à ce genre désormais rebattu une nouvelle saveur. Car dans J'ai Rencontré le Diable émerge un double portrait faisant peu à peu douter, in fine, à qui se réfère le diable du titre.


Choi Min-Sik est égal à lui même, toujours impérial dans un rôle de psychopathe qui lui va comme un gant, tout en noirceur nihiliste et en folie meurtrière. Irrécupérable, pourri jusqu'à l'os, son personnage de tueur qui passe du statut de prédateur à celui de proie inquiète le spectateur, tout comme il le fait jubiler quand son poursuivant lui tombe dessus pour le dérouiller.


Le serial killer évolue en parallèle avec son tortionnaire, incarné par un Lee Byung-Hun de plus en plus impassible à mesure qu'il s'enfonce dans les ténèbres sur les traces de sa victime. Si d'abord, c'est le deuil et la perte qui le rongent, le côté obscur le consumera par la suite dans son désir de vengeance et de faire souffrir l'assassin de sa compagne. Tout aussi auto destructeur que suffisant et sûr de sa force, il s'amuse tout d'abord avec sa victime, comme le lion qui tient entre ses griffes la vie du rat... Jusqu'à ce que celui-ci lui échappe et renverse à nouveau les perspectives, ouvrant la voie à un aspect thriller sur une route jonchée de cadavres. Si ces renversements des rôles entre les deux personnages permettent de généreuses effusions d'une violence crue, sèche et glauque, le caractère viscéral et urgent de la satisfaction de la vengeance semble se perdre quelque peu en route, ce qui pourra peut être en décevoir quelques uns, comme certaines "incohérences", coïncidences (la forte concentration d'assassins au mètre carré) et raccourcis (comme diable fait-il pour savoir où crèche la belle famille ?).


Cela ne doit toutefois pas venir assombrir la réussite de Kim Jee-Woon, qui livre une oeuvre à la fois magnétique et choquante dans sa violence qui n'épargnera pas grand chose au spectateur, tout cela inscrit dans une maîtrise graphique et formelle de chaque instant (Ouah ! Ces mouvements de caméra circulaires dans le taxi !).


Mais c'est l'évolution du personnage de Lee Byung-Hun dans sa confrontation avec celui dont il veut se venger qui intéresse le plus. Une confrontation qui le conduira à s'enfoncer dans le même abysse de noirceur que le psychopathe, au point de lui permettre de faire beaucoup d'autres victimes, sans jamais trop s'en inquiéter et ce bien avant que la situation ne se renverse et échappe à son contrôle. Lee Byung-Hun est littéralement enfermé dans sa souffrance et dans son désir de vengeance, inscrit dans un sentiment de toute puissance bien fragile face à un timbré qu'il sous estime et le conduit à la faute. Tant de rage et de malheur sous des traits constamment figés, sans expression. S'il a bel et bien rencontré le diable, il en devient aussi un, dans sa volonté de tracer une route sans retour, sans considération pour les victimes offertes en sacrifice au serial killer déchaîné.


Le final est d'ailleurs à l'image du "héros".


Ces larmes et ces cris de douleur sont-ils vraiment libérateurs ? Car s'il n'a pas suivi le chemin du tueur dans ses actes les plus définitifs, est-ce pour autant le signe d'une humanité qui aurait repris le dessus alors que sont brisées les dernières victimes d'une vengeance qui a échappé à tout contrôle ? L'ambiguité est loin d'être levée, faisant seulement dire au spectateur :


"Voilà ce qui arrive quand on tire trop le diable par la queue".


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le 3 janv. 2016

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