Ce n'est pas le film le plus connu de John Ford mais pourtant un excellent film.
Le cinéaste se penche sur l'histoire vraie du Docteur Mudd, accusé de conspiration pour avoir soigné John Wilkes Booth après l'assassinat d'Abrahama Lincoln.
L'implication de Mudd reste encore sujette à controverse aujourd'hui, mais le film prend ici un parti-pris total pour l'innocence de ce dernier en le présentant comme une figure héroïque. La véracité historique ne semble pas être ce qui intéresse Ford ici. On y sent plutôt une volonté de dépeindre l'injustice et les paradoxes entre le bien et le mal, et a fortiori entre nordistes et sudistes.
À ce titre, Ford renverse la table de façon magistrale. Il offre le rôle clé de Buck à Ernest Whitman, ancien esclave de Mudd, qui garde un lien presque familial avec son ancien "maître" alors que d'autres prônant de grandes idées, le traite avec mépris. Par ce biais, il démontre que les relations humaines sont plus complexes et moins manichéennes que ce qu'on aimerait qu'elles soient. Cette approche préfigure déjà la condition noire qui ne va pas s'améliorer avec la seule abolition.
On notera d'ailleurs que le film se termine sur les retrouvailles de Buck avec sa famille, après celles de Mudd et sa famille.
La représentation de ceux qui se permettent de faire le mal au nom du bien est également éloquente. John Carradine est mémorable dans le rôle du Sergent geôlier. Se considérant comme étant du bon coté de la morale, il se sent la légitimité de traiter l'assassin d'une figure indépassable comme Lincoln de façon cruelle. En effet, Mudd est soupçonné d'avoir conspiré pour l'assassinat d'une personne presque déifiée par ses partisans, d'où la haine et le dégoût que le condamné suscite. Même un confrère ne veut pas avoir à faire avec lui.
La prestation de Warner Baxter est mémorable en Mudd. On ressent chez lui une humanité et ce sentiment d'injustice qui le frappe. Ce n'est pas non plus un ange, puisque dans un excès de colère il injurie un soldat noir qui refuse de lui obéir, ce qui montre la complexité d'un homme.
Dans ce climat très sombre, Claude Gillingwater dans le rôle du beau-père/colonel apporte une touche de légèreté fordienne. Le passage où il tente de convaincre politiquement sa petite fille est assez amusant. Gloria Stuart, dans le rôle de Peggy Mudd, campe un beau rôle féminin d'épouse déterminée à faire libérer son mari et à prouver son innocence.
Ne connaissant pas l'histoire, je m'étais dit que la gestion de l'épidémie par le condamné était un peu alambiquée, avant que je n'apprenne que pour le coup, c'est ce qu'il s'est vraiment passé. C'est ce qui permet la réhabilitation de Mudd.
Comme souvent, l'humanisme est au centre du cinéma de John Ford ; c'est vraiment prégnant dans ce film. Le réalisateur s'attaque a des sujets complexes impliquant la nature humaine, où certains, convaincus d’être mus par de bonnes intentions, peuvent être les plus effrayants, voire serviles. Le cinéaste refuse ainsi la dichotomie nord/sud pour séparer le bien et le mal.