Jean Valjean
6.4
Jean Valjean

Film de Éric Besnard (2025)

Le film d’Eric Besnard s’impose comme un objet singulier dans le paysage des adaptations du roman "Les Misérables". Son premier geste, celui de la modestie, n’est pas une coquetterie mais une véritable ligne de conduite, presque une méthode.

Face au risque d’écrasement inhérent au projet, entre le monument de Victor Hugo et une future adaptation (prévue le mois prochain) plus ambitieuse dans ses moyens, Eric Besnard a choisi de réduire son champ : il concentre son récit, limite ses intentions, et construit ainsi un film dont la cohérence naît précisément de ce resserrement.

Le choix de limiter l’adaptation aux deux premiers livres du roman, « Un juste » et « La Chute », constitue une décision structurante. Le film se déploie alors autour du dispositif originel : la rencontre entre Myriel et Jean Valjean. En se concentrant sur ce moment inaugural, Besnard fait de l’histoire une étude quasi expérimentale de la transformation morale.

Ce resserrement a un double effet. D’une part, il met à distance les développements sociaux et politiques qui irriguent la suite du roman, réduisant l’œuvre à son noyau éthique. D’autre part, il donne au film un caractère d’avant-propos visuel, comme s'il ne s'agissait pas du roman "Les Misérables", mais plutôt de la genèse de sa possibilité.
On peut y voir une forme de prudence, le réalisateur ne prétend pas embrasser l’ensemble, seulement en interroger le point d’inflexion.
La fidélité revendiquée au texte, le respect des chapitres et les digressions s’inscrivent dans la même logique. Il s’agit moins de célébrer la prose de Victor Hugo que de la laisser agir comme principe organisateur. Cette littéralité présente un intérêt analytique : elle met en lumière la structure discursive du roman, ses transitions abruptes, ses tournures oratoires, et souligne ce que le cinéma peine parfois à résoudre en images.
Pour autant, cette fidélité produit aussi une forme de raideur. La voix off, abondante, crée une distance constante entre le spectateur et l’action. Le film assume cette distance, mais elle limite l’appropriation cinématographique du matériau littéraire, qui demeure prioritaire à tout moment.

L’esthétique du film, la grisaille persistante, la minéralité des textures et les cadrages austères, fonctionnent comme un contrepoint au lyrisme du texte. Besnard inscrit son histoire dans un paysage dur, presque muet, où la société apparaît comme un bloc compact, immobilisé par l’injustice.
Les séquences au bagne, en bichromie rouge et blanc, tranchent avec cette sobriété et produisent un effet de rupture visuelle notable. Elles évoquent davantage une stylisation que la volonté d’un réalisme brut. Leur radicalité plastique peut se lire comme une tentative de visualiser l’excès de souffrance que la narration seule ne suffirait pas à représenter.

La distribution s’inscrit dans cette même esthétique de retenue. Bernard Campan compose un Myriel dépouillé de tout effet dévotionnel, tandis que Grégory Gadebois donne à Jean Valjean une densité physique qui renforce le contraste entre l’homme et la société qui l’a façonné. Les performances sont solides, souvent justes, mais le jeu reste canalisé par le dispositif général : peu de débordements, peu d’ouverture dramatique.

En définitive, le film d’Éric Besnard apparaît comme une adaptation délibérément circonscrite, presque méthodique. Il ne cherche ni l’amplitude du roman ni la réinvention spectaculaire. Il préfère examiner un fragment, une articulation précise, en respectant rigoureusement le texte qui le fonde. Ce choix produit un film cohérent, magistral parfois un peu contraint. Mais il a le mérite de clarifier ses intentions : montrer, sans emphase, le moment où la fiction de Victor Hugo bascule vers sa dimension morale.

Radiohead
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il y a 4 jours

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