Derrière l’hommage appuyé à un aventurier et à son émission, J’irai mourir dans les Carpates propose une réflexion subtile sur le pouvoir significatif des images dont la mise en mouvement par la vidéo et le montage, entendu comme articulation des différentes caméras dont disposent le réalisateur, donnant accès à différents points de vue sur un même événement, offre au spectateur une source infinie de fiction. Si le personnage d’Agnès, interprété par Alice Pol, s’improvise détective et part à la recherche d’indices confirmant le rapt du présentateur vedette, c’est parce qu’elle suit une intime conviction qui lui dit dès le départ que la disparition a quelque chose de suspect, qu’elle mérite une enquête fouillée menée contre vents et marées.


En réalité, ce que fait Agnès n’est autre qu’agencer les plans pour donner du sens, sinon un sens, aux séquences enregistrées sur cassettes ; la chasse aux indices mute en reconstruction d’un parcours tant physique que mystique, Antoine s’enfonçant toujours plus loin dans l’étrangeté des Carpates, jusqu’à dépasser le gothique de pacotille qu’alimentent les brochures publicitaires pour atteindre une obscurité véritable, brutale, primitive. Agnès s’affirme réalisatrice, met en place un suspense, compose un long métrage à mi-chemin entre le réalisme documentaire et le fantastique. Aussi la clausule du long métrage, que nous ne révélerons pas ici, ne doit pas tant être lue comme le triomphe de la culture contre l’inculture, du raisonnement contre l’instinct, ce qui supposerait un regard ethnocentrique, que comme le triomphe de la fiction élaborée plan après plan, scène après scène, séquence après séquence, par la monteuse.


J’irai mourir dans les Carpates constitue alors une leçon de montage habile et intelligente qui se saisit de son spectateur comme d’un jeune stagiaire, préfiguré par ce geek mal coiffé qui gigote sans cesse, pour lui apprendre l’art de monter un film, soit l’art de donner focalisation et sens à une somme d’images en mouvement. Fallait-il pour autant recourir à un comique aussi lourdaud et répétitif que portent des acteurs masculins inégaux sinon mauvais ? Le rire semble souvent forcé, comme si le réalisateur n’avait pas confiance dans la puissance comique de ses situations. Dommage. Reste l’une des meilleures appropriations du found footage, ce qui constitue déjà une belle réussite.

Fêtons_le_cinéma
7

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2020

Créée

le 4 janv. 2021

Critique lue 111 fois

4 j'aime

Critique lue 111 fois

4

D'autres avis sur J’irai mourir dans les Carpates

J’irai mourir dans les Carpates
AnneSchneider
7

Il a bon dos, le Comte Dracula...

L’idée d’une œuvre peut naître d’une peur, à tout le moins d’une appréhension... Un peu comme lorsque Bashung, interrogé sur le caractère souvent triste des épisodes amoureux évoqués dans ses...

le 21 juil. 2020

16 j'aime

2

J’irai mourir dans les Carpates
DavidRumeaux
7

J'irai mourir dans les Carpates !

Avec les années, Antoine De Maximy a passé du temps dans des endroits, parfois louches, pour son émission "J'irai dormir chez vous". Et si ça tournait mal ? Antoine De Maximy tournait une émission...

le 10 juil. 2020

14 j'aime

J’irai mourir dans les Carpates
Agyness-Bowie
6

Filmer les choses que l'on ne voit pas

Je sors de la Cinex qui présentait le nouveau film de Antoine de Maximy. Une triple mise en abyme aux versants à la fois réaliste, comique et policier ; et cette triangulation borne sur J'irai mourir...

le 8 sept. 2020

13 j'aime

5

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

86 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14