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J’aurais tellement aimé pouvoir affirmer haut et fort que le dernier film de Xavier Dolan est un chef d’œuvre.



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Je m’étais rendue à une séance de l’après-midi le jour de la sortie, avec l’excitation et l’impatience des enfants le jour de Noël, courant presque dans la longue galerie marchande souterraine qui mène de la station de métro à l’UGC des Halles. A la sortie de la salle, je ne savais que penser du film, n’osant, je crois, m’avouer qu’il m’avait déçue.


Récompensé par le Grand prix à Cannes, Juste la fin du monde est adapté de la pièce éponyme écrite en 1990 par Jean-Luc Lagarce alors qu’il se savait malade du sida. Après douze ans d’absence, Louis (Gaspard Ulliel), auteur de théâtre, revient dans sa famille pour leur annoncer sa mort prochaine le temps d’un déjeuner dominical. Depuis son départ, il n’a jamais revu sa mère (Nathalie Baye), ni sa petite sœur quittée enfant (Léa Seydoux), ni son frère aîné (Vincent Cassel), dont il n’a jamais rencontré la femme (Marion Cotillard). A huit clos surgissent alors les vieilles rancœurs et les reproches à moitié déguisés, aucun des personnages n’arrivant à exprimer ce qu’il a réellement sur le cœur.


En cela le film illustre formidablement la manière dont le non-dit gangrène les relations familiales. Quand l’essentiel reste tu, toute communication devient pathologiquement impossible. Le ressentiment fuse au moindre prétexte, à la moindre irritation, lors d’éclats de colère ou de violence verbale s’adressant généralement au mauvais destinataire. Grâce aux répliques de Lagarce adaptées par Dolan et à un jeu de gros plans, chaque scène monte peu à peu en tension et en intensité, jusqu’au malaise. C’est fort, puissant. Juste la fin du monde connaît ainsi de véritables moments de grâce : un regard entre Louis et sa belle sœur qui dit toute la profonde compassion existant entre deux êtres comme étrangers à cette famille ; l’étreinte d’une mère et son fils retrouvé ; la foire d’empoigne finale au moment du dessert.


Néanmoins, à maintes reprises, j’ai trouvé le film dissonant et l’émotion qui m’étreignait retombait souvent aussi sec. Sans verser dans le discours à la mode anti-Cotillard et anti-Seydoux (je suis même une des seuls à l’avoir préférée à Exarchopoulos dans La vie d’Adèle), la langue de Lagarce/Dolan m’a parue sonner faux, voire ridicule dans leurs bouches, alors que je la trouvais magnifique dans celle des autres acteurs, et en tout particulier de Nathalie Baye.


Surtout, j’ai eu l’impression que le réalisateur cherchait à plaquer ses codes « dolaniens » sur sa matière première. Ainsi revient une scène de danse sur de la pop ringarde dans la cuisine (en l’espèce le tube roumain d’O-zone en 2004) qui non seulement fait figure de pâle copie d’une des scènes les plus marquantes de Mommy, mais ne colle également pas du tout avec le reste du film. Les flashbacks, d’un kitsch un peu gênant, font également figure d’artifices superflus. C’est également le cas de la musique, omniprésente : pourquoi tant de violons (en plus des quelques chansons pop) pour signifier l’émotion ? A mon sens, les dialogues se suffisaient à eux-mêmes sans cette lourdeur supplémentaire. En fait, il m’a semblé que Xavier Dolan n’assumait pas totalement son parti pris de faire un film différent, relevant du registre du théâtre filmé ou, du moins, dans lequel le langage est le support principal de l’intrigue. Et c’est dommage. Epuré de ces éléments, certes très Dolan, mais qui sont ici un peu factices, le résultat n’en aurait pas moins été « dolanien » : esthétique 1980s populaire, thèmes de la relation mère-fils, de la névrose familiale, de l’impossibilité à communiquer…


Inégal et moins organique que ses précédents opus, Juste la fin du monde amorce cependant un tournant important dans sa filmographie, vers une réinvention permanente et enrichissante de son œuvre, comme semble d’ailleurs l’augurer son prochain film, le premier en anglais, The Life and Death of John F. Donovan (sortie initialement prévue en 2017).


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Camille_Pierrard
6

Créée

le 23 sept. 2016

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