"La manière est nouvelle, mais non la matière !" Citation que j'ai jamais pu replacer correctement dans une critique. J'ai hésité avec "Apostasie" comme titre, car il y avait plus de fruité. Mais c'eût été trop fort et pas fidèle à mon sentiment, que je qualifierais de globalement positif quoiqu'assez mitigé. Pourtant, en un sens, j'ai trouvé qu'Alexandre Astier s'était renié sur un certain nombre de points dans ce Kaamelott : Premier Volet.


Attention, ma critique divulgâche sans vergogne.Tenez-vous-le pour dit.


Fan de Kaamelott, j'étais d'accord avec Alexandre Astier sur ses intentions professées dans diverses interviews avant la sortie du film : ne pas "donner aux fans ce qu'ils attendaient", "s'autoriser à leur déplaire", "surprendre"... Paradoxalement, je pense que peu de choses ont vraiment surpris, que le film aura plu avant tout aux fans, car l'auteur leur a finalement donné ce qu'ils attendaient, et que le plus large public qu'il visait risque d'être plus perdu par ce passage au cinéma. En définitive, j'ai eu le sentiment de revoir du fond de marmite de Kaamelott livres V et VI (non nova), mais au format cinéma (nove).
Voici quelques points que j'énumère pour étayer mon propos :
- le premier point, c'est que l'intrigue est finalement assez basique : un roi qui revient, une princesse à sauver dans sa tour, un méchant très méchant (il met à mort des enfants, le salaud), des gentils qui résistent. Il y a bien peu de surprise là-dedans ; et si l'on peut légitimement s'étonner que le Père Blaise soit avec Lancelot, que Mevanwi se soit aussi placée auprès de lui, qu'Elias soit finalement en Carmélide et Léodagan à bêcher des salades, l'essentiel de l'histoire se voit venir d'assez loin.
- le deuxième point, et c'est ce qui m'a, en définitive, le plus déçu, c'est la quantité énorme de fan-service : passage en revue de toutes les têtes chères ou presque, resucées de répliques déjà servies (overdose de roi burgonde, de Kadoc et même des aphorismes latins du roi Loth...), des clins d’œil souvent trop appuyés...
- le troisième point, ce sont les costumes ridicules des Burgondes (voire, dans une moindre mesure, des Saxons), là où Alexandre Astier avait toujours mis un point d'honneur à ce que l'univers soit crédible et que seuls les personnages soient caricaturaux et comiques par leur manière d'être et de s'exprimer : là, on tombe dans la farce au lieu de rester dans la comédie et on met un gros panneau "RIEZ !" : ça manque de subtilité scénique, c'est dommage.
- le quatrième point, c'est l'humour autocentré et qui traîne en longueur (inutile présentation des nouveaux chevaliers à Gaunes, Robobrole, Perceval et Karadoc devant monter la garde...).
- enfin, Alexandre Astier voulait passer au grand écran et donner un souffle plein d'ambition et d'épopée pour sortir de son format télévisuel trop étriqué. Or, ce souffle n'est pas assez fort. Certes, il y a plus de moyens, mais dans le fond, il n'a pas poussé les murs de son format, pour cette fois : le duel final est trop bref et sans tension, la bataille finale n'existe pas, il n'y a pas de troupes autour de Lancelot : il n'y a aucune véritable épopée, en fait, et le retour d'Arthur semble finalement facile, comme s'il avait finalement dit à Lancelot "allez, ok, fin de la récré, prends ta pelle et ton seau et va jouer". Alexandre Astier est, hélas, resté dans le théâtre et la télévision. Il n'a pas pété assez haut, pour le coup, n'a pas été assez prétentieux. Il est resté dans ce qu'il jurait abandonner : sa zone de confort.


Astier professait par ailleurs ne pas "croire à la vitesse qui se ferait passer pour du rythme". Une bonne partie du film le contredit pourtant, avec des enchaînements trop forcés (Arthur qui voit la table et se résout finalement à redevenir roi, Arthur qui renonce à la vengeance en se revoyant jeune en Maurétanie venger sa chère et tendre, épée ne flamboyant plus mais re-flamboyant en bleu très vite, Arthur se souvenant que "la guerre, c'est de la musique"). Tout s'enchaîne trop vite, comme en accéléré, mais au final, je n'ai pas senti le rythme que l'auteur souhaitait impulser à son œuvre. J'ai également eu la frustration de voir moult visages complètement transparents (père Blaise, Gauvain, les paysans, le tavernier, Elias, la Dame du Lac etc.) : à l'exception du duc d'Aquitaine (pourtant déjà assez bref et expédié), tous parlent trop peu. D'autres sont complètement inutiles (comme Urgan, que j'adore pourtant dans la série, ou bien le jeune Papinius)
Perceval et Karadoc, malgré quelques bons moments qui m'ont positivement surpris, cabotinent (comme dans les livres V et VI, cependant, où déjà je les trouvais trop caricaturaux dans l'absurde). Ajoutez à cela des jeunes bien-pensants et sans relief (avec en premier lieu les deux filles de Karadoc et leur rébellion à deux solidi contre l'intrigante à bouclettes) et le tableau des personnages est finalement frustrant, malgré quelques belles nouveautés sur lesquelles je reviens plus loin.


J'ai regretté aussi la solitude des personnages (sauf en Mer Rouge et en Aquitaine qui m'ont donné la sensation de plus de foisonnement, ce qui m'a approché du vrai cinéma) : ça passait car c'était "hors champ" lorsque la série était en intérieur entre ses murs : pousser les murs fait qu'on voit davantage l'espace qui n'est pas rempli. Kaamelott, surtout, est vide. On est sur une scène de théâtre dans la nature, on n'est pas dans un film épique. On pourrait m'objecter que c'est peut-être un défaut des films épiques d'être trop pleins. Peut-être. Mais il y a sans doute un juste milieu et je ne crois pas que ce premier volet l'ait atteint, ni même recherché.


A l'inverse, la musique est trop présente à mon sens, et ne laisse pas assez de moments de silence, qu'Alexandre Astier affectionnait pourtant, me semblait-il. Elle est agréable et indéniablement travaillée (n'aimant pas écouter une musique de film sans voir le film, je l'ai découverte dans ledit film), mais elle ne comporte pas, à la première écoute, de thème vraiment mémorable.


J'ajouterai enfin que Lancelot est diaphane. J'ai la faiblesse d'avoir de la tendresse pour le Lancelot originel, et même pour celui qui sombre dans la folie. Au fond, je considère que c'est un idéaliste et qu'il a bon fond, et que c'est en fait le personnage tragique par excellence de Kaamelott, celui qui s'abîme dans sa quête de perfection et la frustration de la médiocrité qui l'entoure. Je suis conscient que ce n'est finalement pas le choix d'Alexandre Astier, qui a voulu en faire "le méchant". Arthur a pitié de lui, mais au fond ils sont véritablement ennemis. Le parti-pris a donc semblé d'en faire à la toute fin du livre VI un méchant implacable, froid et cruel, sous l'emprise de Méléagant. Mais même cette voie-là semble avoir été désertée, peut-être par choix, il est vrai. En lieu et place d'un tyran, on voit un être sans impact, perdu, obsédé par Arthur mais impuissant, et se laissant marcher sur les pieds par des inférieurs, faible et rapidement balayé par un Arthur encore affaibli pourtant, mais dont le retour seul a suffi en trois coups de cuiller à pot à le vaincre. Il n'a rien d'épique, ni de tragique, ni même de pathétique. Il ne suscite que l'indifférence et le mépris.


Je me rends compte que le tableau que je peins de ce film est assez sombre. A me lire jusqu'à présent, on pourrait sans doute penser que j'ai détesté le film. Je vais tâcher de corriger quelque peu, car se borner à ces observations plutôt désabusées ne rendrait pas justice à mon appréciation.


Il y a de bons moments dans ce premier volet (comme Perceval récitant deux vers d'un psaume - scène la plus forte du film à mon sens -, mais aussi des scènes vraiment drôles, en Orient, en Aquitaine, à la tour, en Carmélide, etc.), de vraies bonnes séquences (Mer Rouge, Aquitaine : en fait grosso modo la première heure du film m'a véritablement emporté), de bonnes idées ( Excalibur ne flamboyant plus, "la guerre c'est de la musique", Arthur aimant enfin Guenièvre). J'ai aimé l'anti-rôle de Léodagan aussi, reconverti dans une activité agricole soutenue, et dont les répliques font vraiment mouche et ne font pas réchauffé comme beaucoup d'autres répliques du film. Les quelques nouveaux personnages importants (Alzagar, Quarto, Horsa) sont plutôt réussis à mon sens. Les Saxons ont du potentiel pour la suite (malgré leur manque de crédibilité face à trois paysans désarmés et les costumes étranges de leurs troupes, qui passent tout de même finalement mieux que ceux des Burgondes).


De bonnes choses, donc, et sans doute de quoi le placer au-dessus de la moyenne des films hexagonaux, mais trop peu de transgressions, en définitive. Alexandre Astier, quoiqu'il s'en défende, a trop suivi un sentier balisé, d'une part, par le passif de la série, d'autre part, par les poncifs du médiéval-fantastique.


Pouvait-il en être autrement ? Surtout dix ans après ? Je ne sais pas. Il manque indéniablement la brique Kaamelott Résistance pour nous expliquer comment on passe de la série au film : sur ce point, l'auteur ne me contredirait pas. Là, on est parachuté dans un monde mourant, où Arthur revient comme précipitamment. Sans doute rationnellement le film devait-il nécessairement décevoir, surtout après une telle attente. En fan exigeant, je plaçais sans doute des espérances trop élevées. Pour être franc, cela fait longtemps que je pensais que le film ne pouvait que me décevoir ; et la bande annonce ne m'avait pas rassuré. J'ai pourtant cru sur la première partie du film qu'il me détromperait. Mais il m'a finalement déçu, oui.


C'est un bon film, j'ai passé un agréable moment, et j'aurai certainement plaisir à le revoir, peut-être très prochainement. Mais je doute à ce stade qu'il soit véritablement marquant. Il n'est pas au cinéma français ce que la série a été pour la télévision française - en particulier pour ses livres I à IV qui à mon sens sont ce pour quoi la série est aussi culte dans l'esprit du grand public. Je suis assez étonné des retours assez laudatifs et de la moyenne plutôt haute (7,2 à l'heure où j'écris ces mots). Je m'en réjouis, en fait, surtout si cela garantit un succès commercial et la suite de la saga - absque argento, omnia vana, comme on dit en Orcanie. Intuitivement, j'ai tendance à penser que cette moyenne va cependant inévitablement chuter quelque peu lorsque le public va s'élargir et ne plus se circonscrire qu'aux fans qui se sont rués sur l'avant-première. Je pense que beaucoup sont dans un biais de confirmation, tant ils ont aimé Kaamelott par le passé et ont une bonne opinion d'Alexandre Astier. Je souhaite me tromper. Et j'espère aussi être moins sévère après un second visionnage. De même, je ne veux pas que l'on croie que moi, je fasse acte d'apostasie. Le film est honorable, ses défauts n'enlèvent rien au génie de la série ni à l'estime que j'ai pour le monde d'Alexandre Astier, son talent et son originalité. Et puis, surtout, je peux nuancer mon jugement par le fait qu'il fallait en passer par cette étape pour ouvrir la saga cinéma en présentant à nouveau la plupart des personnages, quitte à y perdre du temps, et en proposant à un public élargi une intrigue somme toute simpliste. J'ai un espoir raisonnable que les épisodes 2 et 3, s'ils voient le jour, n'auront plus le défaut du foisonnement de visages connus et se concentreront sur ce qui sert vraiment l'intrigue. Nonobstant, sans méconnaître le besoin de présenter à un public nouveau une galerie de personnages existants, je pense qu'il aurait été possible d'épurer davantage ce premier volet, peut-être d'y prendre davantage son temps pour le renforcer, et de lui donner un souffle plus fort, bref d'en faire un authentique film épique dans le ton Kaamelott comme il le promettait et semblait parti pour l'être. Pour la suite, advienne que pourra.

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le 24 juil. 2021

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