le 3 juil. 2025
Social en souffrance
Alexe Poukine vient du documentaire et cela se voit, assez souvent pour le meilleur, dans son premier long métrage de fiction, Kika, qui n'a bien sûr rien à voir avec l’œuvre éponyme d'un certain...
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Le quotidien de Kika est partagé entre une vie de famille plutôt désorganisée avec son compagnon (Paul) et sa fille (Louison), et un travail d’assistante sociale envahissant. L’équilibre est fragile, et il suffit d’une soirée en tête-à-tête avec un réparateur de vélo (David) pour bouleverser ce rythme intenable. Kika et son amant vont même jusqu’à concrétiser cette attirance en louant une chambre à l’heure dans un hôtel de passage. Malgré les efforts du décorateur d’intérieur – dont on devine la passion pour les harems orientaux –, la chambre est glauque, faussement glamour, et il faut bien quelques minutes à Kika et David pour faire abstraction de cette ambiance lugubre. Cela dit, cette atmosphère ne les empêche de sauter sur l’occasion de se découvrir. Et l’expérience ne devait pas être si désagréable, puisqu’ils y retournent. Une fois, puis deux, puis… Tiens, c’est amusant finalement il ne paraît plus si glauque que ça ce love hôtel ; la chambre s’illumine, les couleurs sont plus éclatantes, l’ambiance s’allège. Kika et David ont éclaboussé de romantisme et de sensualité ce motel premier prix. Qu’importe le lieu, la flamme brûle plus intensément.
Mais le pire arrive : David disparaît, laissant avec lui cette histoire idyllique qu’il était en train de vivre avec Kika. Celle-ci se retrouve seule, enceinte de quelques semaines, avec Louison. Tout s’effondre pour Kika, et à l’image on ne s’y trompe pas : la scène qui suit immédiatement la disparition de David montre ce changement de manière flagrante ; finies les couleurs exotiques des chambres à l’heure aux contrastes lumineux, place maintenant aux tons mornes du deuil, annonçant le retour à la réalité brutale pour Kika. La réalité en question est surtout économique, parce que Kika est une mère célibataire enceinte, qui doit trouver un nouveau logement, avec une fille à sa charge et un salaire d’assistante sociale qui doit très certainement avoisiner le minimum légal.
Dans cette situation critique, Kika se voit contrainte de retourner quelques temps chez ses parents avec Louison. Son père Jean-Pierre est d’une lourdeur légendaire, hilarante le temps d’un repas, insoutenable au quotidien. Kika commence donc à faire ce qu’on fait tous quand on est en galère de thunes : elle met en vente des objets dont elle ne se sert plus ; en l’occurrence, une culotte sale. Cette idée inspirée par l’une des bénéficiaires qu’elle rencontre au tout début du film semble peut-être saugrenue, mais tous les moyens sont bons pour redevenir indépendante. Vient alors la scène de rencontre entre Kika et son acheteur, qui est ma préférée du film. Comme avec la chambre d’hôtel, on démarre par un moment pétri de malaise, qui se meut peu à peu en une ouverture réciproque, où chacun se donne un peu à l’autre, tout en gardant une certaine retenue. C’est sûr, on n’est loin du romantisme partagé avec David, mais Kika et son admirateur vont à leur manière trouver moyen de s’accorder, et cette rencontre qu’on imaginait embarrassante se transforme en un jeu presque plaisant. Cette scène est primordiale car elle donne le ton concernant la manière dont vont être traitées les question des fantasmes, des pratiques sexuelles, de la relation entre travailleuses du sexe et clients. Une tendresse se tisse entre ces femmes et ces hommes, et plutôt que de pointer du doigt les penchants sexuels des clients où l’activité des travailleuses, le film nous montre plutôt le courage que ça représente d’assumer cette part de vulnérabilité, et le rôle essentiel des femmes qui les accueille. D’ailleurs, elles en ont bien conscience : elles sont les premières à défendre que leur activité ne se résume pas à faire du sexe avec des inconnus ; leur profession est autrement plus sociale et psychologique. Jamais le film ne tourne en dérision les différentes pratiques évoquées où montrées à l’écran, il assume certes l’a priori loufoques de certaines d’entre elles mais ne les dénigre pas.
Avant tout pour des raisons financières, Kika s'engage un peu plus dans ce milieu, en veillant toutefois à garder une certaine distance. Elle ne semble pas vouloir s’identifier pleinement à ce groupe, il y a un malaise qui persiste, une honte aussi. Mais à force d’expérience, au contact de ses collègues et d’autres clients, Kika se professionnalise et devient une habituée de l’hôtel. On voit alors son regard changer sur cette activité qu’elle devait considérer comme dégradante, et mieux encore : son mépris et sa distance avec ses clients se réduit, laissant apparaître la vulnérabilité de ces hommes et la bienveillance qu’elle requiert. Avec Rasha, sa mentor domina, Kika apprend beaucoup sur la pratique, et également sur la manière d’appréhender et de respecter ses clients. En comprenant mieux ces hommes sans les stigmatiser, on normalise leurs pratiques et fantasmes. C’est un film qui vous fait vous sentir minable d’avoir pu trouver ça ridicule ou grotesque que certaines personnes soient excitées à l’idée de se faire lyncher ou humilier. En prenant le temps de comprendre les clients et les travailleuses, on ne peut que respecter la capacité des premiers à assumer pleinement leurs désirs, et la bonté sincère et exemplaire des secondes. C'est un contexte professionnel particulier, mais une fois l'instauration d'un cadre sécurisant et respectueux, où les femmes sont libres et consentantes dans leur pratique, qu'est-ce qu'il y a de si intéressant à redire sur le travail du sexe ?
Bref, no kink shame.
Créée
le 19 nov. 2025
Critique lue 4 fois
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