Bon, malgré les retours exaltés de quelques camarades dont l’enthousiasme se perdait en dithyrambes diverses, je n’étais pas vraiment chaud patate pour me taper le dernier Scorsese. Échaudé par son dernier film, The Irishman, que j’avais trouvé totalement raté, et dont le propos vis à vis de l’histoire américaine et de la mafia en particulier m’avait quand même bien consterné. Ceci dit, échaudé par le ciné de Scorsese je le suis depuis belle lurette. J’en ai bien raté quelques uns, ces dernières années, mais ni Le Loup de Wall Street, ni Shutter Island, ni Les Infiltrés et ni Gangs of New York ne m’avaient convaincu. Bref, tout ça pour dire que j’avais le sourcil froncé et l’œil un brin sombre lorsque l’autre soir je suis entré dans la salle, prêt à bien me caler le cul pour les 5h37 que dure donc ce nouvel opus d'une œuvre, certes discutable, mais néanmoins légendaire.

Eh bien j’ai finalement passé un bon moment et pour régler la question dont, au final, on se tape complet, j’ai pas vu passer les 6h52 du film, le tout glissant tout seul, comme un joli pet sur une toile bien cirée. J’ai été attentif et j’ai suivi avec un intérêt parfois poli, parfois enthousiaste, cette édifiante intrigue, morceau méconnu d’une grande histoire pourtant si souvent visitée.

La première chose qui surprend, bien sûr, c’est cette situation renversée. Une reconstitution où le réel aurait boutonné dimanche avec lundi. Les Indiens, pleins aux as, se font servir par des Blancs qui conspirent comme des crapules pour spolier ces gens que le hasard a choisit de rendre riches. Et c’est cette histoire d'entourloupes meurtrières que le film va raconter, à travers un fait divers mettant en scène une andouille bien couillonne, un oncle machiavélique et une bien mystérieuse indienne.

Et c’est là que je commence à avoir quelques soucis. Parce que cette histoire s’articule autours de personnages qui m'ont posé problèmes et que j'ai parfois eu de la peine à cerner. Par exemple, pourquoi la jeune indienne tombe-t-elle amoureuse d’Ernest ? Si l’inverse semble évident, devant le charisme et la finesse d’esprit de la jeune fille, jamais le film n’arrive à me faire comprendre ses motivations. De son côté, Ernest est un personnage un peu frustrant, témoin des évènements, docile et limité, il est difficile de saisir à quel point il est conscient de ce qui se passe. Un peu idiot, sûrement très lâche, le film est à son sujet particulièrement cruel, ne lui proposant aucune évolution, ne lui permettant jamais de dépasser son statut, que son amour incontestable pour Mollie rend cependant profondément et assez joliment tragique. Finalement, l’oncle est un personnage plus classique, proto mafieux sans scrupule et forcément truculent. Profitant du cabotinage rigolo de DeNiro (qui offre des accents très "trumpien" à son personnage), il est le témoin et l'acteur de la modernisation de son pays et représentant d’un pouvoir en concurrence avec celui de l’État. Il ne lui manquerait que quelques « cocksuckers » pour que le parallèle avec le personnage joué par Ian McShane dans Deadwood soit complet. Forcément, les intérêts locaux d’une bande de mafieux se confrontant à la justice fédérale rappelle la série de David Milch, mais ici, contrairement aux velléités mythologiques de la série, on s’attache plutôt à une histoire particulière de cette Grande Histoire. Et encore une fois, j'ai quelques soucis avec le film.

Déjà parce que pour un film consacré au drame vécu par les indiens Osages, ils restent très en périphérie du film, n’existant que pour quelques scènes pittoresques où ils sont rapidement présentés, cantonnés à leur position de « sauvages » aux costumes folkloriques et à la naïveté consternante. Jamais ils semblent comprendre ce qui se passe. Le film montre à quel point les Blancs les infantilisent, et tentent de les garder sous leur contrôle. Ils ont besoin d’un tuteur pour aller à la banque, des prix spéciaux leur sont pratiqués… mais jamais le film ne leur propose de s’émanciper du regard paternaliste et jaloux qu’ont les Blancs à leur encontre. Cette intrigue de meurtres et de captation d’héritage est évidente pour tout le monde, pour le spectateur qui partage donc une certaine connivence avec l’oncle, pour la plupart des Blancs, mais, on le présume, pas pour ces Indiens qui semblent subjugués par la gouaille du perso incarné par De Niro.

Mais soit, que Flowers of the Killer Moon s’intéresse plus aux combines dégueulasses de l’oncle plutôt qu’à un point de vue plus global n’est pas en soi un souci mais là encore, j’en suis sorti un peu frustré. Si le personnage d’Ernest se débat en vain durant tout le film, celui de son oncle semble finalement lui aussi très limité, arbre un peu caricatural qui dissimule une forêt nettement plus séduisante. Car le film l’indique à deux reprises, il n’est lui aussi qu’un pion d’une bien plus grande conspiration, s'étalant bien plus loin que les quelques meurtres crapuleux que le film scrute sur presque 4 heures. D’abord, on mentionne la loge maçonnique dont il fait partie, moyen habile de caractériser le personnage comme faisant partie d’une organisation (paternaliste) aussi mystérieuse que mystérieuse en offrant tout plein de mystères aux mystères qui entourent le mystérieux oncle et ses mystères. Ensuite, lorsque Ernest est sommé par l’avocat de changer son témoignage, au-delà de l’oncle, on nous présente les véritables bénéficiaires de toute cette truanderie criminelle. Les patrons des compagnies pétrolières, qui utilisent des margoulins locaux afin d’arracher les parts de gâteaux des mains des Osages. Et quelque part, entre les Indiens et ces types à peine silhouettés, le film semble obnubilé par quelques détails de toute cette affaire, laissant dans le hors champ la terrible bataille qui s’est menée, pour s'intéresser plutôt à une enquête et un destin qui n’ont, pour le spectateur, guère d’enjeu narratifs, tout en observant les gesticulations de personnages qui semblent ne pas voir les évidences.

Au delà de ces questions de sujets, de la romance entre les deux personnages principaux à l’enquête du FBI, des indiens Osages aux compagnies pétrolières, formellement, le film est plutôt agréable à regarder, même si bon, je suis très loin d'avoir été bouleversé par sa beauté formelle, ses cadres ou sa mise en scène. J'ai même plutôt trouvé ça assez souvent étriqué et répétitif, rarement épique et j’étais bien en peine, à la sortie du film, d’avoir réalisé si l’intrigue se déroulait sur 3 mois ou sur 15 ans. Il y a un gros problème vis à vis de cette sensation du temps qui passe et je n'ai jamais eu l'impression de voir filer les années, ce qui pour moi nuit à cette intrigue qui montre comment une bande de criminels va mettre des années et des années à, patiemment, spolier cette tribu en la faisant lentement disparaître.

Finalement, avec un peu d'ironie, l’épilogue du film m’a semblé un brin cruel, parce que cette reformulation un peu ridicule d'une histoire qu'on a arraché aux victimes et qu'on a transformée en une sorte de vaudeville radiophonique, c’est un peu ce que j’ai eu l’impression de voir les 3 heures et demie précédentes.

Dommage, parce qu'au delà de ma déception, je suis très très loin d’avoir passé un mauvais moment...

MelvinZed
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le 26 nov. 2023

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Melvin Zed

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