Enfin vu la Director's Cut, difficile à trouver à un prix raisonnable. Sans être un chef d'oeuvre, le film s'améliore quelque peu avec 40 minutes supplémentaires. Il demeure incompréhensible de voir qu'un réalisateur comme Ridley Scott ne puisse jamais vraiment réaliser les films qu'il veut, et qu'il ait du à l'époque, après des succès énormes comme Alien ou Gladiator se contenter d'un film tronqué et découpé au sabre par des producteurs pas très audacieux sur un sujet potentiellement polémique, il est vrai, mais quand même. Fort heureusement, il est un habitué de l'exercice et chaque fois ces dernières se révèlent plus intéressantes (Blade Runner notamment).
Ce qui est notable d'abord, c'est le sujet : les croisades, sujet fabuleux, extraordinaire même, pouvant offrir des scènes de guerre et d'action dantesques dans un contexte géopolitique passionnant, dans une période parfaite pour le cinéma, le Moyen-Age. Après Gladiator, le réalisateur avait de quoi pondre un péplum médiéval et gothique épique.
Ridley Scott arrive dans ce film a présenter simplement les enjeux des croisades et les protagonistes en présence. Il prend d'ailleurs des personnages réels pour bâtir son histoire. Balian D'Hibelin, incarné par Orlando Bloom, a réellement existé, plus encore réellement défendu Jérusalem, tenant tête au grand Saladin. Les autres protagonistes sont également tous des figures majeures de la période et c'est un moyen efficace de comprendre à travers leur destin les enjeux de la période.
Le film est pourtant assez maladroit. Certes il présente un univers absolument pas manichéen, montrant la complexité des croisades, où les chrétiens et les musulmans ne sont ni gentils ni méchants, tentent de s'entendre, se retrouvent pris dans l'étau la guerre. Saladin et les musulmans en général font l'objet d'un traitement habile, où ils sont clairement présentés à leur avantage, ce qui est rare dans le cinéma, plus sages et plus intelligents que les chrétiens. Cela change de l'occidentalo-centrisme habituel.
Mais les personnages, eux, sont très binaires : soit ils sont gentils soit ils sont méchants. Balian est un Gary Sue sans aspérités aucune, comme souvent hélas les rôles d'Orlando Bloom. Sybille, incarnée par Eva Green a le droit a plus de développement psychologique, c'est peut-être le personnage le plus paradoxal et donc intéressant. Les méchants Guy de Lusignan et Renaud de Châtillon restent invariablement violents du début à la fin. Les personnages en fait n'évoluent pas. C'est d'autant plus dommage que le casting est fabuleux : Liam Neeson, Jeremy Irons, Edward Norton, mais il est au service d'archétypes servant l'histoire. D'ailleurs le potentiel de certains personnages est gâché : Baudouin IV le Lépreux, personnage vêtu d'un masque à cause de la maladie, exerce une fascination tout au long du film sans pour autant être pleinement exploité.
Autre problème, le film manque d'exaltation, de spirituel alors qu'une des causes de la croisade, la religion. Certes nos personnages se battent au nom de Dieu, quelques scènes rappellent le fanatisme de la période, mais cela reste évacué pour des aspects plus contemporains et proches de nos préoccupations : sauver des vies, avoir de l'honneur et du courage et vivre librement sa romance avec la femme de ses rêves. Presque hors sujet.
Le film est aussi l'héritier de Gladiator. Et là où Gladiator avait des enjeux très simples : une histoire de vengeance sous fond de complot politique sous la Rome impériale, et pouvait ainsi se concentrer sur l'action, ici l'ambition du propos est telle qu'elle rend l'ensemble bancal et confus. Pire Balian n'a pas de but : il suit son père, dont il apprend qu'il est le fils au débotté, par un enchaînement de situations capillotractées et ensuite acquière respect de tout le monde à Jérusalem sans avoir aucun fait d'armes si ce n'est un nom glorieux à son actif. Plus encore il n'a aucune motivation : il se dit imperméable aux voix du Christ et n'a que la belle Sybille comme attache. Cette absence d'enjeux palpable, autres que des enjeux de la grande histoire, intéressants mais qui ne font pas pour autant un film, empêche de s'émouvoir et là où Ridley Scott avait su tirer des larmes dans son précédent péplum, ici on reste de marbre, froid comme une église.
Reste ce sujet, la fin du royaume de Jérusalem, que Richard Coeur de Lion ne parviendra pas à refonder quelques années plus tard. Les croisades sont une exception dans l'histoire, une période unique qui mis à mal les peuples arabes, l'empire byzantin, enrichissant considérablement l'Italie et les places commerciales occidentales. L'enjeu est complexe à cerner de nos jours, dans une histoire ni semblable aux colonies ni aux guerres religieuses et ethniques actuelles. D'ailleurs le film le résume plutôt bien : se battre pour un grief antérieur à sa naissance. Saladin ni aucun de ses hommes n'ont connu Jérusalem musulmane et arabe. Balian, lui, n'est même pas du coin - enfin dans la réalité, il était né en Orient et y passa toute sa vie, alors que dans le film non - mais défend la ville, pour l'honneur, pour Dieu. L'absurdité du monde, voilà le message du film, dans une région marquée par ses conflits millénaires et ses disputes aussi absurdes parfois que terrifiantes.
Ainsi si le film évite des fautes historiques et des contre sens par une habile remise en contexte, si la version longue corrige plusieurs raccourcis qui n'auraient jamais du être acceptés par le réalisateur dans la version cinéma, il demeure confus notamment concernant l'écriture de ses personnages qui est trop simplette pour permettre de s'identifier à leurs destins. Les batailles dantesques, le spectacle sont là, mais la croisade fonctionne moins dans notre imaginaire que le Colisée romain. Ce film marque le début de la chute de Ridley Scott qui demeure depuis l’ombre de lui-même.