Exit Valentine, le trans-humaniste zozoteur et hématophobe, bonjour Mrs Poppy Adams, la caricature de la ménagère des 50's anthropophage et fan d'Elton John !
Dans ce nouveau volet de Kingsman, on passe de Moonraker à Vivre et laisser mourir.


Tout dans le film correspond d'ailleurs à ce titre bondien.
Du complot de Poppy, qui consiste à déposer un virus dans ses drogues pour infecter ses clients et faire pression sur le président des Etats-Unis afin de faire légaliser la drogue, au combat à mort de ses hommes de main pour survivre.
Comme dans le premier volet de Roger Moore, l'accent est mis sur la drogue et constitue le débat du film: quel rapport avoir vis à vis de la drogue ? Laxiste, hobbesien et machiavélique, nuancé et peu clair ? Jamais le film n'optera pour quelque solution: sa force réside dans sa volonté d'ouvrir le débat.


Mais si le nouveau volet de la jeune franchise se permet un regard critique surprenant sur la politique, la société de consommation et l'histoire américaine, il délaisse son rôle d'observateur du cinéma d'espionnage actuel. N'était le topos de l'année 2017 des molosses qui attaquent les espions (cf. Conspiracy et American assassin).
Toujours fidèle à son hommage aux vieux James Bond, il perd néanmoins l'élégance et le flegme du premier Kingsman pour tomber dans le travers qu'il avait su dénoncer dans le NewBond.
Le film est à l'image de la scène du bar où, bien que le heurt des mondes gentleman et street soit toujours présent, le gentleman se fait mettre K.O par les brutes qu'il essayait d'éduquer à sa manière si spéciale. Cet écart esthétique évitant la copie de la scène d'anthologie du premier opus est significatif d'une volonté générale du second opus de se renouveler quitte à sacrifier l'esprit élégant du premier qui a su faire tout son succès. Le flegme, uniquement incarné par Poppy et Merlin, s'amuït même dans le pourtant très classe Harry Hart, bel et bien de retour. Le point probablement le plus déceptif de ce nouveau volet est bien ce troc immonde entre élégance à l'anglaise et coolitude à l'américaine.


Cela dit un tel troc était à prévoir, même si l'on pouvait espérer la mise en scène d'un heurt entre les deux culture plus prononcé, évitant un changement de ton si brutal.
Les Statesman sont néanmoins très réussis, plus versés dans l'alcool que dans le vestimentaire. Producteurs d'alcool, ils servent le propos général du film: l'alcool fut prohibé et la méchante du film assimile la non légalisation de la drogue à une prohibition du même acabit. Dans quelle mesure l'alcool est-il meilleur ou pire que les drogues ?
Producteurs d'alcool, leurs noms de code sont moins tournés vers la matière de bretagne que vers la cave à vin. Ainsi Arthur et ses chevaliers se voient préférer les différentes variétés d'alcool: Champagne et ses "alcoolytes", Tequila, Whisky, Ginger Ale (soda au gingembre). Mais où est passé le personnage qu'on aurait nommé Absinthe?


Que dire d'ailleurs des personnages en général?
Ils sont là aussi pour certains extrêmement bien trouvé pour d'autres sous-exploité voire même honteusement sacrifiés.
Chez les Kingsman, Eggsy est de retour, devenu Galaad. De retour mais avec une élégance qui semble un bleu de travail dont il se défait aisément de retour chez lui, même s'il sait en user par moments dans sa vie privée. Taron Egerton se fait emblème du film, semble ne pas trouver l'équilibre entre élégance et coolitude d'jeuns.
Non moins décevant, Harry Hart, premier Galaad en titre, affaibli, amnésique et ramené uniquement pour attirer les spectateurs. Son flair pour trouver les taupes est sa seule raison d'être: il ne sait plus se battre, il voit des papillons partout, il est ridicule. Colin Firth ne renoue pas avec lé génie inspiré de sa prestation première, pour notre plus grand déplaisir.
Bien trop tôt et trop stupidement sacrifiée, Roxy alias Lancelot, toujours impeccablement campée par la séduisante Sophie Cookson, apporte le temps de son bref passage de cette élégance qui manque au film. Elle est aussi sacrifiée en tant que potentiel "love interest" d'Eggsy au profit de la très furtive princesse Tilde de la fin du premier film. Une déception, certes, très personnelle.
Trop tôt sacrifié également et bien inutilement, le nouvel Arthur, remplaçant celui de Michael Caine. Il s'agit de Michael Gambon dont la prestation n'est pas vraiment évaluable, étant donné sa triste et vaine brièveté. A quoi bon cet Arthur introduit que pour être aussitôt anéanti ?
Reste alors Merlin, toujours impeccablement interprété par Mark Strong, qui ne démérite pas et qui porte le film à bout de bras, conservant le flegme et l'élégance initiale. Il est, à n'en pas douter, l'un des points forts de ce nouveau volet des aventures Kingsman.


Dernier retranchement de l'élégance perdue, il sera lui aussi sacrifié sans réelle bonne raison. Dommage...


Chez les Statesman, on regrettera le peu d'importance de Tequila, sorte d'Eggsy à l'américaine, jeune recrue en devenir, joué par Channing Tatum en pleine forme. Ce personnage, qui eût été un bon point, se retrouve vite court-circuité au profit de Whisky.
Whisky, c'est le Harry Hart de l'oncle Sam. Plus lasso que parapluie, il se distingue aussi pour une autre, bonne et intéressante raison, nous y reviendrons. Pedro Pascal (Narcos) lui insuffle énergie et galvanisation pour en faire un excellent personnage.
De même que Kingsman a son Arthur et son Merlin, Statesman a son Champagne et son Ginger Ale. Champagne, c'est Jeff Bridges cool raoul mais très appréciable. Ginger Ale, c'est Halle Berry aux anti-pôles de son rôle fort et sexy de Jinx dans Meurs un autre jour. La belle espionne est ici une bureaucrate timide qui se tâte à rejoindre le terrain. Toute ressemblance avec une autre actrice café au lait jouant un personnage de secrétaire qui hésite à retourner sur le terrain après avoir abattu 007 serait totalement fortuite, évidemment.


Après Mark Hamill en professeur d'université, voici Elton John dans le rôle ... d'Elton John !
Drôle, auto-dérisif, le célèbre chanteur semble néanmoins tomber dans le guest-staring interchangeable, peu cohérent en soi. Une vedette des années 50-60, période chérie par Poppy, eût eu plus de raison de se trouver en ces lieux. Pourtant, il arrive à se glisser aux instants les plus inattendus et créer la surprise et le fou-rire.


Venons-en aux méchants, car ce sont eux qui font vraiment redécoller le film un chouya en berne.
AuX et non pas au, car ils sont effectivement plusieurs et, chose vraiment intéressante, absolument pas solidaires.
La plus évidente, c'est Poppy Adams. En-deçà de son inespéré prédécesseur, le jouissif Valentine de Samuel L. Jackson, elle n'en demeure pas moins d'un flegme et d'un sadisme à faire froid dans le dos. C'est Julianne Moore, probablement encore sous le coup de sa rencontre avec Anthony Hopkins sur Hannibal, qui offre au personnage son calme inquiétant et son anthropophagisme raffiné. Sorte d'Hannibal Lecter féminin qui transforme ses antagonistes en burgers, elle incarne avec brio la critique sous-jacente du capitalisme américain, que l'on résume parfaitement avec le titre bondien déjà outrancièrement évoqué en début de critique.
Elle dispose de sa Gazelle-like en la personne de Charlie, le concurrent d'Eggsy et Roxy dans le premier film. Son interprète, Edward Holcrof**t, en fait une sorte de **soldat de l'Hiver made in Kingsman, qu'on appréciera. Ou pas.
S'en tenir à ces deux-là serait par trop réducteur.
Kingsman, qui a su faire un clin d'oeil à Jack Bauer dans son premier volet, livre un second méchant, délicieusement machiavélique: rien de moins que le Président des Etats-Unis d'Amérique. Ce dernier incarne tout aussi bien le Live and let die, décidant de laisser mourir toutes les personnes infectées par le virus pour gagner sa guerre politique contre la drogue et usant d'un manichéisme redoutable pour se justifier. Si on peut regretter que Kingsman 2 rompe dans sa continuité avec le premier volet en ne remplaçant pas Obama par Trump, force est d'avouer que Bruce Greenwood (Benjamin Gates et le livre des secrets), décidément abonné au rôle de président des Etats-Unis d'Amérique d'un monde parallèle, fait plaisir à voir dans une interprétation plus décalée et irrévérencieuse du chef de l'Etat.
Un petit bravo au passage pour Emily Watson (Equilibrium), parfaite en chef de cabinet, incarnation de la zone grise en matière de consommation de drogues.
Le duo Greenwood - Watson donne chair au débat qu'ouvre le film, de façon très vivante et moins anecdotique qu'on eût pu le craindre.


Le dernier méchant, c'est Whisky.
Un méchant très bien pensé, brisant tous les clichés du méchant.
Whisky ressemble à une taupe mais n'en est pas une. Hart le soupçonne d'oeuvrer au sein de Statesman pour le président.
Or Whisky va s'avérer un agent Statesman totalement loyal mais agissant contre son service pour un motif personnel. Bien que rejoignant le Président dans sa prise de position, les deux hommes ne livrent pas cabale ensemble.
Whisky a perdu sa femme, assassinée par un drogué et désire la venger en laissant mourir tous les drogués de la terre.
Voilà qui était pour le moins inattendu: une fausse taupe, ayant un point commun avec un autre méchant mais freelance.


C'est donc dans ses antagonistes et leurs positionnements face au débat sur la légalisation de la drogue que Kingsman 2 tire tout son intérêt.
L'humour et l'action du premier opus sont bien présents mais assombris par le sacrifice inane et gratuit de personnages pourtant prometteurs et par son américanisation au détriment de l'élégance british qui était sa réelle marque de fabrique.
Le film reste excellent mais décevra les attentes qu'on fondait en lui, bien plus grandes.
Il lui faudra renouer avec son excellent prédécesseur pour tenir tête à James Bond et dépasser Mission: Impossible qui, au vu de ce deuxième volet de Kingsman, n'a plus tant de soucis à se faire.

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le 24 oct. 2017

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Frenhofer

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