Blaq Out ressort dans une superbe édition Blu-Ray une véritable curiosité dans la carrière du grand et regretté George A. Romero. L’histoire de marginaux se retrouvant pour faire des tournois inspirés de ceux de la chevalerie au Moyen-Age, mais ici à moto. Étrange, beau et triste, voilà un vrai film qui même dans ses défauts ne fait vraiment pas genre.


Suite au succès de Zombie (1978), Romero se retrouve dans une situation inédite de totale carte blanche. L’occasion rêvée pour lui d’enfin sortir des territoires de l’horreur dans lesquels il semblait condamné à rester. C’est là qu’il propose le projet d’un film de chevaliers contemporain au producteur Sam Arkoff, qui lui dit que ça ne l’intéresserait que si les chevaliers montaient à moto. Finalement, Arkoff ne sera pas de la partie, mais les motos elles en seront. De là, naît ce projet sur le papier totalement aberrant qu’est Knightriders, l’histoire de Billy (joué par un tout jeune et halluciné Ed Harris), mentor d’une troupe de motards ambulants jouant aux chevaliers lors de tournois publics qu’ils organisent un peu partout dans le pays. Mais Billy voit plus loin que ce simple folklore saltimbanque et semble véritablement habité par les valeurs de la chevalerie, sombrant progressivement dans une forme de monomanie alors que la menace sécuritaire d’une police corrompue et celle de publicitaires ultra-riches et libéraux voulant s’emparer de la communauté pèsent sur lui et son groupe.


Derrière cela, on voit bien sûr une parabole sur les idéaux révolutionnaires de la contre-culture américaine des années 60, ses contradictions, ses compromissions, ses échecs. Le point de départ du film de faire une analogie entre ces mouvements et la chevalerie peut avoir de quoi dérouter et surtout sur le papier agacer. Les premières scènes laissent un temps sceptique : ces chevaliers sont tout de même un peu grotesques, Ed Harris se refusant à être un héros mais se voyant combattant « le dragon », ces jeux de séductions « galants », ces rois, princesses, magicien et frère Tuck, musique un poil caricaturale, etc. etc. Romero, au début, ne semble pas vraiment croire à sa communauté, et il paraît habité par une rancœur, une dureté proche de celle de La Nuit des Fous-Vivants (1973), pas si lointaine d’une forme de cynisme. Knightriders date de 1981. Les idéaux révolutionnaires semblent très loin alors que l’Amérique vient d’élire un nouveau président, Ronald Reagan, et il y a dès les premières scènes une amertume, une tristesse qui dans son versant disons décoratif peut paraître dans un premier temps un peu étouffante. Pourtant, le long-métrage avançant, cette tristesse devient plus forte et émouvante, et il y a bien des choses sur lesquelles on peut se raccrocher. D’abord, la puissance de la mise en scène. Quand arrivent les premiers duels, on retrouve très vite la virtuosité de Romero, dans des idées de montage souvent renversantes, une belle immersion ainsi qu’un goût toujours prononcé pour des raccords surprenants et à la puissance presque abstraite. Cette virtuosité, c’est aussi celle d’une liberté totale du metteur en scène qui est palpable à chaque plan, mais aussi à tous les niveaux du récit, même lorsque celui-ci nous perd un peu et se révèle trop long. Ce qui permet de nous raccrocher également, c’est la façon avec laquelle Romero se joue de nos représentations, et fait valser notre regard. Quand les premiers moments du film et son décorum étrange et pas loin du grotesque semblent nous indiquer du second degré, l’auteur de La Nuit des Morts-vivants (1968) peut d’un coup revenir au premier degré avec une violence et une brutalité inouïes, comme dans cette scène de lynchage en prison, ou d’accident d’une mère dans le dernier tournoi. Il prouve là qu’il n’a pas son pareil pour déclencher ce genre d’événements violents et révoltants à l’écran.


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PjeraZana
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le 13 janv. 2018

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