"Kong" n'est pas seulement une créature mythique mise en scène pour des envies de "gigantisme pornographique" sur écran géant, il est le témoin puis la victime d'un contexte économique et sociale. Dans la version de 1933, Merian C. Cooper arrachait une poignée de curieux à la dépression de 1929 afin de renouer avec le règne animal et la nature hostile. Le film de John Guillermin, quant à lui, explorait le capitalisme par l'entremise des énergies fossiles. Une Amérique des seventies triomphante punie pour sa condescendance envers les terres primitives et inexplorées. De son côté, Peter Jackson enfantait trente ans plus tard un remake/caprice démiurgique du classique de la RKO. Un festin de roi qui refermait pour de bon les portes du fantasme aventureux. Point d'étude sociologique mais un spectacle titanesque inégalable et toujours...inégalé.


Comment les têtes pensantes de "Legendary Pictures" allaient en 2017 injecter du sang neuf au gorille le plus célèbre du Septième Art sans avoir à repasser par la sempiternelle trame scénaristique opposant symboliquement puis physiquement la faune New-yorkaise à la jungle luxuriante ? "Kong : Skull Island" n'aura pas à chercher bien loin sa légitimité. Marchant dans les pas de son prédécesseur "Godzilla" de Gareth Edwards qui osait flirter avec l'atmosphère délétère de Fukushima, ce nouveau Kaiju movie troque les écailles pour des poils et le nucléaire pour les traumas post Vietnam. La recontextualisation en pleine débâcle Nixonienne assure à elle seule le visionnage d'une nouvelle mouture solidement rattachée à l'histoire des E.U. Parce qu'il n'y est pas question de tendre une toile de fond historique qui ne servira qu'occasionnellement à illustrer une période, le film de Jordan Vogt-Roberts a l'ambition d'entretenir la spirale guerrière depuis le conflit Americano Nippon jusqu'au retrait des troupes américaines du sud Vietnam en 1973. Outre l'envie de s'accaparer Kong comme une marque déposée par L'Oncle Sam (au même titre que Godzilla est intimement lié à l'histoire Nippone) c'est toute une charte graphique qui va servir au mieux ce second affrontement des forces américaines sur une nouvelle terre inconnue. La photo de Larry Fong (collaborateur attitré de Zack Snyder) décalque adroitement les travaux de Vittorio Storaro sur Apocalypse Now en expérimentant la palette numérique dans de superbes dégradés jaunes orangés. Les vignettes des soldats armés combattant au sol ou en hélicoptère parachèvent la thématique de l'échec ou comment plonger une dague dans des blessures morales encore béantes.


Derrière l'enthousiasme suscité par "Skull Island", la nature et la fonction du blockbuster viennent à rappeler dans le creux de l'oreille que le spectateur va bien devoir repasser par le socle commun de ce type de production. L'envers de la médaille pour les uns ou le nivellement par le bas pour les autres incarné par le filtre identitaire obligatoire. L'agence secrète "Monarch" embauche à tour de bras ses spécialistes dans une longue présentation de ses figures aventureuses. Vient alors la moue dubitative devant le peu d'écriture accordé aux deux protagonistes censés être la caution morale et glamour à suivre. L'ex-Capitaine des forces britanniques joué par Tom Hiddleston joue des poings dans un bar mal famé alors que Brie Larson campe la photographe sexy de la bande sans aborder (tiens,tiens) la plaidoirie féministe déblatérée ad nauseam quelques années plus tard chez Marvel. Poussé sur l'estrade pour enjoliver un film un peu trop entreprenant, le couple injecte un concentré de sympathie pour faire passer la valda. Skull Island tousse alors sa condition de mastodonte qui n'assume guère la grenade dégoupillée en préambule. Les yeux se tourneront alors vers Samuel L.Jackson, officier couillu pleurant sa défaite sur le sol asiatique et rêvant de revanche face à un primate de trente étages. Toute la frustration et la rage d'un pays contenues sous un treillis. Assurément la plus belle idée du film.

Star-Lord09
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le 3 avr. 2021

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