Face à la Bête

Produit dans le sillage des deux premiers Star Wars par la Columbia qui avait à cœur de réaliser une grande aventure de fantasy pouvant rivaliser avec le futur troisième opus de la saga de Lucas, Krull a été un colossal échec au box-office corrélé à son énorme investissement pour l'époque ( 27 M$ c'est presque anodin aujourd'hui on est d'accord ).

C'est pour moi un film qu'il est nécessaire de réévaluer et qui ne manque pas de qualités, se situant notamment au carrefour de plusieurs genres. Il mélange la science-fiction bien sûr, un petit côté western avec ces longues chevauchées filmées en Cinemascope maîtrisé dans des paysages sublimes et le film de cape et d'épée virevoltant et flamboyant des années 1930. Le rôle de Ken Marshall aurait ainsi pu aisément être confié à Errol Flynn dans ce qui prend parfois des allures de relecture de Les Aventures de Robin des Bois.

L'acteur américain est quasiment un parfait inconnu et son nom ne dit rien à personne ou presque, ayant joué le rôle titre dans une mini-série sur Marco Polo. Lysette Anthony qui joue la princesse n'en est pas plus célèbre au contraire même si elle connaîtra une carrière plus prolifique par la suite. Les deux sont plutôt convaincants. Marshall livre une partition dynamique et enjouée et parvient à donner de la consistance à son personnage de preux chevalier un peu lisse. Dans les seconds rôles il y a Robbie Coltrane et un tout jeune Liam Neeson. Pas de quoi jouer donc sur un potentiel argument de vente.

Le tout forme donc une œuvre d'heroic fantasy dont le gigantisme et l'ampleur des décors égale la virtuosité des effets spéciaux. Tourné majoritairement dans les studios Pinewood, les studios 007, plusieurs séquences sont admirables d'un point de vue esthétique : la forteresse de La Bête qui évoque la démesure surréaliste de Dali ou le travail plastique organique de HR Giger, le marais, l'antre de La Veuve Noire avec l'araignée de cristal animée par Steven Archer, un protégé de Harryhausen ( la meilleure scène du film pour moi ). Certains choix visuels sont curieux, je pense à cette idée de flouter la Bête lors du combat final et certaines incrustations sont un peu douteuses ( la séquence avec les juments de feu ). Globalement le travail de Derek Meddings sur les effets spéciaux reste tout à fait admirable.

L'intrigue quant à elle n'a pas d'aspérités et le scénario est linéaire et reprend une structure classique, citant comme souvent la théorie du voyage du héros de Joseph Campbell. Le héros doit progresser, guidé par un mentor et doit récupérer de nouvelles armes et de nouveaux compagnons pour affronter l'antagoniste final. Quelques éléments apportent une noirceur et une complexité au récit, je pense à la relation entre Ynyr et la Veuve qui a tué leur fils, le peuple damné des Cyclopes... Yates n'hésite pas à jouer sur ce côté anxiogène et sacrifie de nombreux protagonistes tout au long de l'aventure, ce qui accentue le danger et le côté tangible de l'aventure. Pour autant la quête manque il faut le dire d'exposition. On ne saura jamais réellement qui est la Bête et son armée de Slayers et le monde de Krull semble être affreusement vide, nos protagonistes ne rencontrent ainsi quasiment personne. Frustrant car on sent qu'il y a un vrai univers derrière mais laissé de côté peut être à cause du budget ou pour ne pas dépasser les deux heures syndicales.

Il faut aussi signaler le travail de James Horner qui signe une très bonne B.O qui illustre à la fois l'exaltation, l'émotion et l'aspect dramatique de cette fantaisie mais aussi son caractère plus intimiste et rêveur et qui à mon sens tient la comparaison avec ce que fait John Williams.

En résumé ce Krull de Peter Yates est une proposition originale et sympathique qui rend un hommage sincère sans post-modernisme cynique à un cinéma d'aventures à l'ancienne. Une belle alternative au genre qui possède un capital sympathie indéniable et qui aurait mérité meilleur sort.