Comme pour faire taire ses détracteurs qui l’accusent à tort de refaire toujours le même film, Dupieux sort pour la première fois de la pure comédie.


Entre cette musique bruitiste oppressante, ce rythme lent, cette photographie ténébreuse, cette intrigue de film noir qui pourrait très bien être l’objet d’un épisode de Findings ou d’Infernet ; ainsi que le cadre reculé et désertique de la montagne enneigée ; le long-métrage dégage une ambiance pesante, imprégnant le récit d’une certaine gravité que même la bizarrerie des situation ou l’excentricité des personnages ne parviennent pas à atténuer.


Le réalisateur prend son temps avant de révéler l’origine de ce fameux accident de piano qui scellera dès lors le regard que nous porterons sur Magaloche. Avant cela, nous apprenons donc à la connaître par ses interactions avec son homme à tout faire, avec les fans relous qui la harcèlent pour obtenirun selfie en sa compagnie, ou par son interview avec Simone. Cette partie constituant pour moi le point d’orgue du métrage. Un face à face tendu, prenant des allures de garde à vue entre une facétieuse journaliste cuisinant avec fausse bienveillance une vidéaste constamment sur la défensive.


Contrairement à ce qu’en disent certains influenceurs qui ont dû se sentir visés, Magaloche n’est en rien représentatif de leur milieu. A ses yeux, Internet n’est qu’un outil pour partager ses créations. Elle n’a fait que reprendre le concept ancestrale de Jackass et pourrait très bien être une star de la télé sans que cela ne change quoi que se soit à l’intrigue. En revanche, son entretien avec la journaliste fait état d’une personnalité difficile à cerner.


Elle est la première à critiquer ce travail débilitant qui, étant insensible à la douleur, ne lui demande aucun effort et qu’elle semble effectuer à la chaîne, de façon mécanique. La notoriété n’a pas non plus l’air d’être une source de motivation, vu comment elle se terre dans son chalet, regarde de loin la masse de groupies parquées derrière un portail, et méprise les quelques admirateurs qui croisent son chemin. Pourtant, et alors qu’elle n’en a plus la nécessité financière, elle continue inlassablement, et non sans un certain perfectionnisme, de produire à la pelle un contenu toujours plus extrême, allant même jusqu’à porter perpétuellement son “costume de scène”, un appareil dentaire qu’elle avait quand elle a débuté les vidéos et dont elle n'a plus l’utilité depuis.


Aucune réponse ne sera apportée pour expliquer ce qui pousse Magaloche à s’enfermer dans ce cycle de création autodestructeur, mais peut-être que Dupieux n’en a pas non plus. Serait-il capable lui, d’expliquer ce qui le pousse à produire à un rythme effréné des films de 60 minutes ? Lui qui est le premier à relativiser son travail et à dénigrer ses précédentes réalisations ?


Lorsque Simone demande à la vidéaste pourquoi elle se qualifie elle-même d’artiste, celle-ci lui rétorque que c’est le terme qui convient le mieux à une activité qui rapporte un maximum de brouzoufs pour un minimum de travail. Une punchline que Dupieux aurait pu lui aussi sortir en interview, si il ne l'a pas déjà fait. Quand on connaît en plus son aversion pour les médias, il apparaît clair que le cinéaste a mit un peu de lui dans ce personnage (30% selon ses propres dires) et qu’à travers elle, c’est le statut d’artiste au sens large du terme qu’il interroge.


C’est ce besoin compulsif de créer, qui peut prendre le pas sur tout le reste et te déconnecter du monde. C’est ce rapport para-social avec le public qui peut t’enfermer dans une représentation permanente de toi-même ou plutôt, de l’image que les autres se font de toi, mais qui ne t’appartient plus réellement et à laquelle tu t’accroches malgré tout parce que tu n’as plus que ça pour exister.


A l’instar de son Deuxième Acte raté, le réalisateur donne à nouveau du sens à son récit pour aborder, à sa manière, un sujet qui lui tient à cœur. Il en tire cette tragi-comédie magnifiquement dialoguée, portée par d’excellents comédiens, et dont la loufoquerie apparente dissimule une noirceur sous-jacente qui lui donne tout son intérêt.

AlfredTordu
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le 15 juil. 2025

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Alfred Tordu

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