SensCritique a changé. On vous dit tout ici.

L’Accident de piano : un Dupieux sans éclat mais lucide

Avec L’Accident de piano, Quentin Dupieux délaisse l’absurde qui faisait la singularité de son cinéma pour livrer une fable noire, sèche, presque austère. Un film plus grave, plus linéaire, plus théorique aussi — et sans doute l’un de ses plus désenchantés.

Pour porter cette fable, Dupieux a choisi Adèle Exarchopoulos, figure aujourd’hui établie, star adulée pour sa beauté. C’est précisément ce paradoxe qui donne au film une profondeur supplémentaire : à l’écran, Exarchopoulos devient une icône de la laideur, une incarnation de l’agression sourde et de la défiguration intérieure. Et si, au fond, la vraie Adèle n’était pas celle qu’elle représente ici ? Cette inversion joue subtilement sur la tension entre l’image publique d’une star adulée et la brutalité nue de son rôle, renforçant la portée critique du film sur l’apparence et la célébrité.

Magalie, star des réseaux sociaux, bâtit sa notoriété en se mutilant devant ses millions d’abonnés. Elle ne ressent pas la douleur. Son corps devient ainsi la scène d’un spectacle continu, fait d’avilissement et d’auto-destruction. Ce n’est pas une critique déguisée : c’est littéral. Et ce qui frappe, c’est que cette exhibition ne cache aucune stratégie. Magalie n’a pas de plan. Elle ne pense pas. Elle est le vide et la laideur comme le constatera Sandrine Kiberlain, journaliste offerte à la violence du monstre. Elle produit, c’est tout. Et elle fascine une masse grouillante, aveuglée, qui l’adore sans comprendre.

Adèle Exarchopoulos incarne cette figure grimaçante, tout en agressivité, en laideur, en bêtise sourde. Face à elle, Jérôme Commandeur campe Patrick, manager depuis dix ans, simple rouage intéressé, qui accepte tout par pur appât du gain.

Le film déploie une critique frontale du monde de l’image, du vide en ligne, de la pulsion de contenu. Elle est efficace, parfois un peu attendue. Et c’est peut-être là que le bât blesse : en se plongeant entièrement dans le noir, en abandonnant l’absurde, L’Accident de piano devient un film plus lisible, mais aussi un peu plus plat. L’humour n’est plus un levier de pensée, ni un espace de fuite. Il ne reste que la morosité du constat.

Alors oui, L’Accident de piano est un film intéressant. Sincère, tenu, cohérent. Mais aussi moins ludique, moins joueur, moins imprévisible que les précédents opus de Dupieux. Un peu aride, parfois répétitif, il laisse une impression de légère fatigue. Non parce qu’il échoue, mais parce qu’il semble lui-même un peu prisonnier du sérieux qu’il dénonce.

Dupieux disait à l’avant-première : « Ce n’est qu’un film, après tout. » Ce n’est pas un film raté, c’est un film à part dans sa filmographie. Un film lucide, mais peut-être trop vissé à la gravité de son époque pour laisser passer la moindre échappée.

elrenardo1
5
Écrit par

Créée

le 8 août 2025

Critique lue 3 fois

elrenardo1

Écrit par

Critique lue 3 fois

D'autres avis sur L'Accident de piano

L'Accident de piano

L'Accident de piano

le 3 juil. 2025

Capital(isme) de la douleur

On s’était déjà posé la question avec Yannick : il semblerait qu’au détour de ses saillies absurdes et déjantées, Dupieux soit tenté, de temps à autre, de prendre à bras le corps son époque. Le...

L'Accident de piano

L'Accident de piano

le 7 juil. 2025

Spielberg ? Connais pas

Alors Quentin Dupieux, comment ça va ? La forme depuis l’année dernière ? Pour rappel, Dupieux avait tourné le dos aux interviews, fui les journalistes, sabordé la promo et fait son misanthrope,...

L'Accident de piano

L'Accident de piano

le 6 juil. 2025

Le débat des cinéphiles...

Le cinéma de Quentin Dupieux, même s'il est de plus en plus populaire, reste un cinéma qui divise. L'Accident de piano, son dernier film, est considéré par certains comme son meilleur (parce qu'il...

Du même critique

L'Âge d'or, tome 1

L'Âge d'or, tome 1

le 4 janv. 2019

Gilets jaunes classieux

Étonnant ce parti pris de Pedrosa de renouveler totalement sa colorisation. On est d’abord un peu rebuté par la saturation et puis très vite époustouflé par ce foisonnement graphique jubilatoire. Et...

Bételgeuse, intégrale

Bételgeuse, intégrale

le 25 mars 2018

Simpliste et vain

Un ami m'a conseillé ce cycle de Léo et j'y suis donc entré sans à priori. Très vite, j'ai été exaspéré par la naïveté du propos à tous les niveaux. L'univers décrit est franchement peu fouillé et...

Évanouis

Évanouis

le 8 août 2025

Critique de Évanouis par elrenardo1

Après avoir frappé un grand coup avec Barbarian en 2022, ce film qui avait réussi à transformer une simple location Airbnb en cauchemar absolu, au point de nous faire hésiter à jamais avant de...