Gilles Grangier signe là une comédie de mœurs sympathique qui rend compte d'une situation classique quatre ans avant 1968 et surtout, dix ans avant 1974.
Je ne fais pas de dessin pour ce qui concerne 1968 mais je rappelle que ce n'est qu'en 1974 que la majorité "légale" est passée de 21 ans à 18.
C'est dire qu'en 1964, pour ces deux raisons, un garçon et surtout une fille de 18 ou 20 ans étaient loin d'être libres de leurs mouvements, même si les jeunes étaient financièrement indépendants (ce qui n'est pas le cas dans "l'âge ingrat").
Ici dans ce film, on a de plus des familles de la petite bourgeoisie qui commencent à connaitre une certaine aisance (la maison, la voiture, les vacances, la télévision) et dont le principal souci devient l'avenir des enfants.
Le scénario part de ce contexte pour ensuite mettre en opposition deux familles l'une parisienne, l'autre provençale pour finalement constater que les deux ont, malgré les caractères différents, la même approche.
Gilles Grangier met en scène Jean Gabin, contremaître face à Fernandel, commerçant. La gouaille de l'un contre la faconde de l'autre. La retenue de l'un contre l'exubérance de l'autre. La grisaille du Nord (toute ville située au delà de la latitude de Montélimar est dans le Nord) contre l'omniprésence du soleil dans le Sud. La gravité de toute chose du Nord contre l'insouciance du Sud. On est un peu dans le cliché mais c'est un cliché, ma foi, assez sympathique et tellement classique.
Les deux jeunes, la fille du personnage joué par Gabin et le fils du personnage joué par Fernandel sont tenus par Marie Dubois et Franck Fernandel.
Marie Dubois, à cette époque, enchaine les rôles amenant avec elle sa beauté, sa fraicheur et son petit caractère depuis "Tirez sur le pianiste", "Week-end à Zuydcote", "le monocle noir" : elle est par excellence, l'actrice populaire qu'on aime bien, que je retrouve toujours avec plaisir dans un film.
Ici, elle contraste avec sa mère (jouée par Paulette Dubost) par la différence d'attitude : elle montre un désir d'émancipation évident même face à son fiancé alors que sa mère est beaucoup plus soumise.
Quant à Franck Fernandel, je crois que c'est la seule fois qu'il joue avec son père.
Ces deux personnages représentent les premiers "jeunes adultes" issus du babyboom qui n'ont pas connu la guerre.
Parmi les seconds rôles, il y a l'inénarrable Noel Roquevert dans uns scène amusante où il est en train de se noyer à bord du pédalo "Titanic"...
"L'âge ingrat" est une comédie sympathique et un document archéologique fort intéressant de la vie française dans les années 60