Si je devais donner le film qui m’a donné l’amour du cinéma, je citerais Les Sept Mercenaires. C’est dire toute l’affection que je porte à John Sturges, dont j’apprécie quasiment tous les films que j’ai pu voir jusqu’à présent, de Un Homme est passé à La Grande Evasion, en passant par les nombreux westerns (seule exception à cette règle, Un Silencieux au bout du canon, film poussif sans grand intérêt).
Dernier film de Sturges, L’Aigle s’est envolé est un film de guerre, et en disant cela on pense être en terrain conquis, d’autant plus que cette seconde moitié des années 70 nous a fourni beaucoup de films de ce genre, dont certains sont plutôt bons. Et le film va quand même nous surprendre en nous entraînant sur un terrain inhabituel.
D’abord parce que les protagonistes du films sont les nazis. Mais des nazis peu ordinaires, peu orthodoxes, pourrait-on dire.
L’action se déroule à la fin de la guerre. La défaite du Reich ne fait plus aucun doute, et on se permet de critiquer l’attitude du chef suprême. Dès les premières minutes, nous voyons un des dirigeants du Reich dresser le portrait d’un Hitler complètement taré, alternant crises de colère et délires mégalos à une vitesse folle (et il semblerait, historiquement parlant, que c’était bel et bien le cas). Cette atmosphère de fin d’empire est bien amenée et distille dans une film une certaine mélancolie vraiment bienvenue.
En tout cas, on n’hésite plus à contredire le Führer, voire à trouver que ses idées sont stupides. Et c’est bien le cas de cette idée qui va servir de point de départ au film : enlever Churchill et l’emmener captif en Allemagne. Et un officier supérieur, le colonel Radl, incarné par un Robert Duvall devenu borgne pour l’occasion, est chargé de prouver que l’opération est infaisable. Or, c’est l’exact opposé qui va arriver : non seulement il va se convaincre que c’est possible, mais il va même monter l’opération.
Nous voilà donc dans un cas particulier, puisque nous, spectateurs, savons très bine que cette opération (fictive) a échoué. Nous sommes donc quasiment dans le cas d’une tragédie, où la fatalité de l’échec pèse sur les personnages (fatalité doublée, d’ailleurs : échec de l’opération, et échec du Reich dans son ensemble). Or, les tragédies sont avant tout des histoires de morale, d’honneur. Et c’est là, sans aucun doute, le noeud de l’action.
Pour diriger le commando chargé de mener l’opération, on choisit donc le colonel Steiner (Michael Caine), une forte tête habitué aux coups d’éclat. Et, très vite, Steiner se révèle être un nazi plutôt étrange, cherchant à sauver une jeune femme juive promise au train de la mort. Et avec lui, la question de la morale personnelle va se poser au centre du film, une morale qui échappe à l’idéologie. Cela n’empêche pas Steiner d’être un salopard s’il le faut : son objectif est de réussir sa mission, même s’il faut décimer un village anglais pour le faire.
Et nous, spectateurs, sommes dans une situation complexe, voire inconfortable, tout à fait intéressante : apprécier un nazi, un personnage complexe, à la fois homme d’honneur et criminel.
La même situation va se répéter avec le personnage interprété par l’immense Donald Sutherland, Liam Devlin. Personnage cynique et calculateur, collabo et proche de l’IRA, mais dont l’humanité va resurgir lors d’une relation amoureuse, et qui, lui aussi, sera confronté à un choix d’ordre moral.
Il est intéressant de constater aussi que les nazis vont se faire repérer lorsqu’un Allemand va sauver une petite fille de la noyade. Un acte de sauvetage qui va épargner la vie d’une gamine mais ruiner tout le plan allemand.
Tout cet aspect n’empêche absolument pas le film d’être un bon divertissement, sans temps mort. Sturges fait alterner action, scènes romantiques, mélancolie et quelques pointes d’humour (avec Sutherland, mais aussi avec l’inénarrable Larry Hagman, le futur JR de Dallas, ici dans le rôle d’un officier allié incompétent). Le rythme reste très bon, malgré la durée du film. Et le casting est exceptionnel (à noter Donald Pleasance dans le rôle de Himmler).