Film de jeunesse et d’adieu, L’Amour à la mer s’impose comme l’un des plus beaux secrets du cinéma français. Guy Gilles y capte la vie, l’amour, le temps qui passe — avec cette liberté de ton et de forme qui le rattache à la Nouvelle Vague, mais aussi avec une douceur, une musicalité du regard, qui le rapproche de Jacques Demy.
Comme ses contemporains Godard, Truffaut ou Rohmer, Gilles filme en toute légèreté : caméra à l’épaule, décors naturels, acteurs à peine dirigés, montage souple. Mais là où la plupart de ces cinéastes observent la jeunesse en mouvement, lui choisit de la filmer à l’arrêt. L’Amour à la mer est un film d’attente, de silences, de lettres écrites et jamais envoyées.
Il en résulte un cinéma d’intériorité, d’émotion pure, qui fait de l’absence une matière sensible. La mer devient un hors-champ du désir, tandis que Paris — filmé comme un journal intime — devient le miroir du manque. Guy Gilles y déploie une Nouvelle Vague plus contemplative que contestataire, plus proustienne que politique.
Le Paris de Guy Gilles est à la fois concret et irréel. On y retrouve les quais de la Seine, les gares, les cafés, les affiches qui se décollent sous la pluie… Mais la caméra en fait un territoire intérieur, un espace de mémoire. Chaque rue semble chargée d’une émotion ancienne, chaque visage croisé devient un écho.
Ce regard poétique, tout en douceur, fait de L’Amour à la mer une œuvre cousine de Lola ou des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy. Comme Demy, Gilles filme la ville comme un décor de sentiments, un lieu où la réalité se teinte de rêve, où le banal devient sublime. Chez lui aussi, les couleurs — parfois éclatantes, parfois passées — traduisent les variations du cœur.
Ce qui relie Guy Gilles à Demy, c’est cette façon de faire chanter la tristesse. Tous deux racontent des amours empêchés, des départs, des retrouvailles imaginées. Mais là où Demy choisit la musique, Gilles choisit le silence — un silence qui dit tout.
Leur cinéma partage cette croyance dans la beauté des gestes simples : une main posée sur une vitre, un regard perdu dans la foule, une phrase à demi dite. On retrouve aussi chez Gilles ce goût de la narration elliptique, de la légèreté mélancolique, cette volonté de mêler la modernité formelle à une nostalgie du cinéma d’autrefois.
L’Amour à la mer est un film rare, d’une sincérité bouleversante, où la poésie naît du quotidien. Ni tout à fait Nouvelle Vague, ni tout à fait romantisme classique, il occupe un territoire singulier : celui d’un cinéma qui regarde le monde avec pudeur, tendresse et mélancolie.