L'Année du Dragon par pierrick_D_

Le Chinatown de New York est le théâtre d'une série de meurtres touchant les chefs de gangs du coin.C'est dans ce contexte que le capitaine Stanley White,policier et vétéran de la guerre du Vietnam,est nommé dans le quartier.Bien décidé à faire le ménage,il découvre vite que le responsable de ces crimes est Joey Tai,un jeune parrain ambitieux qui élimine la vieille garde pour prendre le pouvoir.Mais un nouveau shérif est en ville et ça va swinguer.Michael Cimino,réalisateur et coscénariste du film,s'était imposé dans les années 70 comme le nouveau prodige hollywoodien,notamment avec son incontournable chef-d'oeuvre "Voyage au bout de l'enfer".Hélas l'échec de "La porte du Paradis",fresque mégalo qui a ruiné United Artists,flinguera sa carrière et il ne s'en remettra jamais.Décédé en 2016,il n'aura réalisé que sept longs-métrages en 22 ans,dont la plupart ne sont pas terribles et n'ont pas connu le succès.Pourtant "L'année du Dragon" fut un sacré coup de tonnerre dans le ciel du thriller de choc et signe un beau redressement après "La porte du Paradis".Cimino,avec une virtuosité intacte,nous plonge violemment au coeur d'un environnement tumultueux.Il s'agit là d'un film d'atmosphère,crépusculaire et pessimiste,qui au fil de scènes nerveuses et heurtées parcourt un quartier grouillant,bruyant et coloré.La caméra du cinéaste nous entraîne au fond des arrière-salles,des arrière-cours,des arrière-cuisines,des endroits moites et embués où se fomentent des mauvais coups et où se perpétuent des activités illégales tandis que des fêtes et des cérémonies occupent la rue.Chinatown est en surface une zone touristique folklorique,avec ses défilés de dragons en papier,de costumes chamarrés et de danseurs orientaux,mais dans les labyrinthes où se niche le crime l'ambiance est plus rude.Le réalisateur procède habilement par un système de montagnes russes,presque toutes les scènes débutant de manière tranquille pour se conclure par de brutales explosions de violence qu'on n'attend pas.Un caïd mafieux déjeune paisiblement dans un restaurant,un type arrive et le poignarde à mort,une fusillade éclate dans un autre restau,envoyant indifféremment au tapis truands et clients,deux jeunes tueurs blessés sont visités par leur patron qui les rassure,puis qui donne dans la foulée l'ordre de les éliminer,une femme est agressée et étranglée à son domicile,une tête coupée est exhibée lors d'un deal de drogue,à la manière de celle du cheval dans "Le parrain",une jolie fille subit un viol collectif dans son appartement,ces incises surgissant à chaque fois sans qu'on ne les voit venir,ce qui les rend d'autant plus choquantes.La musique asiatisante de David Mansfield,les décors baroques de Wolf Kroeger et la photo contrastée d'Alex Thomson parachèvent le style délétère de l'ensemble.C'est produit par la MGM et Dino De Laurentiis,et le scénario,adapté d'un roman de Robert Daley, est cosigné par Oliver Stone,qui réalisera "Platoon" l'année suivante.Sur le fond on assiste à une descente en règle du multiculturalisme et du melting-pot à l'américaine.Ces gens vivent dans une société où cohabitent des communautés criminogènes repliées sur elles-mêmes,la thématique de l'échec du rêve américain étant prégnante dans le cinéma de Cimino,c'est peut-être ce qu'on ne lui a pas pardonné.Par ailleurs on assiste à un monstrueux duel d'egos entre White et Tai,deux hommes qui s'opposent férocement mais se ressemblent au fond.Obsessionnels et égocentrés,ils se foutent de ce et ceux qui les entourent pour poursuivre leur but.Tai veut être riche et détenir le pouvoir,quitte à faire trucider ceux qui pourraient l'en empêcher,qu'il s'agisse de concurrents,de complices ou même de proches.Sous son apparente affabilité chic de businessman au calme olympien se dissimule un monstre froid à la détermination totale.White est du bon côté de la loi,mais il est possédé par sa croisade et outrepasse allègrement le cadre légal pour parvenir à ses fins,et il n'hésite pas à mettre en danger ses amis,ses collègues,sa femme et sa maîtresse,son combat contre Joey étant devenu sa seule priorité quoi qu'il arrive.Le gars est en outre un raciste quelque peu aveuglé par sa haine des asiatiques,mentalité héritée de son expérience de viet vet.Ses méthodes brutales et son absence de limites vont contribuer à foutre le feu à un quartier gangrené par une criminalité endémique et par une corruption policière qu'il fait voler en éclats.Mickey Rourke,encore jeune et au sommet de sa forme,accomplit une de ses plus grandes performances en flic allumé jusqu'au-boutiste,et John Lone,qu'on ne reverra hélas jamais à si belle fête,est classieux et saisissant en gangster froid comme une lame.Au milieu du ring se tient la divine asiatique Ariane,un mannequin dont c'était le premier film et qui ne fera malheureusement quasiment rien d'autre au ciné.Sexy et mutine,elle se montre également extraordinairement émouvante dans le rôle de Tracy Tzu,journaliste télé immédiatement séduite par White,la brute réac et la sino-américaine sophistiquée formant un couple atypique et explosif.Dans des emplois secondaires on a Leonard Termo en adjoint peu ragoutant de White,Raymond J. Barry en collègue et vieil ami qui essaie de freiner l'enthousiasme excessif de son pote Stanley,Caroline Kava en épouse déçue et dépressive,Eddie Jones en policier costaud,agressif et neuneu,et même Tony Lip en mafieux italien,lui qui a servi de modèle au chauffeur transportant un pianiste noir dans le Sud profond,"Green Book" c'est son histoire.Contexte oblige,de nombreux asiates sont mobilisés,notamment les excellents Victor Wong en vieux chef de gang et Dennis Dun en jeune policier infiltré.