--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au troisième épisode de la huitième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :

https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163

Et si tu préfères juste le sommaire de la saison en cour, il est là :

https://www.senscritique.com/liste/soul_s/3323463

Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---


Le niveau ne descend pas et j'en suis abasourdie. Troisième film, troisième pépite, troisième traitement novateur, intelligent et tout en finesse du fantôme décidemment très à son aise au cinéma. On pourrait presque dire même que Madame Muir est moins innovant, plus classique dans sa lecture du fantôme, ce qui est assez paradoxal quand on voit à quel point l'œuvre est une référence pour les historiens du cinéma, un pivot clef pour marquer le genre fantastique parmi les genres qui cloisonnent le classicisme Hollywoodien.

Rien de surprenant cela dit au fait que le film ait été préféré à d'autres pour être la figure de proue du mouvement : car si son fantôme est peut-être un tout petit peu trop propret, le classicisme Hollywoodien lui est bel est bien là, criant, grandiose. Gene Tierney n'a rien à envier aux plus grandes stars des studios de l'époque, et la mise en lumière s'applique à sublimer sa beauté, jusqu'à l'excès. C'est d'ailleurs assez amusant de constater le curieux dilemme face auquel s'est retrouvé le film, lorsqu'il a eu besoin de nous montrer son héroïne au crépuscule de sa vie... On n'allait quand même pas lui mettre des rides ! Finalement cette étrangeté, cette figure jeune et sans défaut coiffé d'une perruque blanche de cheveux tout aussi soyeux que ceux d'une enfant rend presque le personnage plus monstrueux que s'il avait été simplement doublé par une commédienne plus agée. Belle, toujours, mais inquiétante par son incongruité. C'est un détail, qui ne dure pas longtemps et d'ailleurs le film se rend bien compte lui même du paradoxe et évite les gros plans lors de cette séquence, mais je m'éternise sur cette maladresse car elle est la seule que j'ai vu en trois jours et que mon esprit critique commençait à s'affamer devant tant de qualité. Je remarque aussi une certaine redondance : ce sont toujours des romances entre des femmes vivantes et des hommes morts, je n'entrerai pas dans des dissertations sur le sexisme de ce schéma répété car ce serait enfoncer des portes ouvertes : Nous sommes dans les années 40, évidemment que les films sont faits par des hommes, avec tous les clichés sexistes qui font référence dans leur conception du monde et qu'il transposent dans leurs films sans se poser de question. Non ce n'est pas brillant sur le sujet, cependant j'ai vu bien pire à la même époque, et cela me donne presque envie de souligner l'effort finalement qui est fait dans ce scénario-là. Déjà je me réjouis du fait que ce pilier du genre ai pour héroïne une femme. Certes je ne me leurre pas quand au fait que le principal motif justifiant cette décision est sa beauté incandescente, et tout le savoir faire qu'Hollywood déploie pour la sublimer. Cependant derrière cette apparence le personnage féminin est moteur de sa propre destinée, prend des décisions s'opposant parfois à la bienséance, se ri du qu'en-dira-t-on et choisit l'émancipation pour elle, sa fille et sa bonne, qu'elle entrainent avec elle. sa beauté prend d'ailleurs part à l'intrigue, elle lui attire l'intérêt de Joe le relou, mais lui permet aussi de mettre le pied dans la porte du monde des hommes, et de se faire entendre. Alors certes tout cela tombe à plat si on ne voit que le sens de lecture dans lequel le fantôme est réel : elle se fait dicter par lui le livre qui lui vaudra son indépendance financière, et se languit en attendant la mort pour le retrouver. C'est une façon de lire le film. Cependant il n'est pas à exclure que ce fantôme ait effectivement été le fruit de son imagination. Le film semble vouloir semer autant d'arguments dans un sens que dans l'autre. Au final le doute plane. Moi je veux lire le film comme ça : s'il y a un fantôme, ce n'est pas l'homme si matériel auquel rêve Lucy. Le fantôme, tout au plus, c'est l'âme de la maison, son cachet, le fracas des vagues résonnant dans le grenier en est son chant, le vent s'engouffrant par les fenêtres sa force, le soleil se reflétant dans la mer son image. Il n'y a pas de fantôme ailleurs que dans l'imagination de Lucy, et dans celle de sa petite fille , toutes deux galopantes. C'est donc la force seule de son esprit qui lui inspire un livre, et l'audace de le présenter à un éditeur, et de forcer la porte quand celui-ci la renvoi à coup de "j'en ai soupé de vos livres de cuisines de bonnefemmes !". Sa façon de dire "c'est un homme qui me l'a dicté", c'est comme Aurore Dupin qui signe son œuvre "George Sand". Le seul moyen de se faire entendre par les hommes. Et cette romance impossible à laquelle elle rêve, ce n'est autre que son idéal de l'amour, en l'absence duquel elle s'accommodera très bien son célibat. Il n'y a pas de fantôme, il n'y a qu'une femme libre et indépendante, qui deviendra à sa mort elle aussi le fantôme de la maison, son cachet, son âme, et qui inspirera peut-être la prochaine résidente... Et finalement ce n'est que cela, un fantôme.

Zalya

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