Difficile de l’évoquer, ainsi que sa portée métaphorique et philosophique, sans déflorer des révélations conséquentes. Inspirateur de la saga Silent Hill mais aussi grand-frère (que ce soit par son époque de sortie -1990- ou par l’exercice d’une influence, qui serait à démontrer au cas par cas) de Sixième Sens ou Donnie Darko, L’Échelle de Jacob hante l’inconscient horrifique et son empreinte se retrouve jusque dans Creep ainsi qu’une foule de séries B et Z, ne serait-ce que par sa station de métro si caractéristique. C’est aussi l’un des précurseurs du « film à twist », où un revirement final permet de ré-envisager tout le reste du long-métrage, ou bien apporte une résolution sidérante ; principe implanté dans les esprits par Seven et Usual Suspects dans les 90s. En d’autres termes, L’Échelle de Jacob est un archétype originel du thriller américain des 90s et 2000s, dont la formule commence à s’évaporer sous le coup des contributions de Nolan et Jason Bourne. Étonnant statut pour une réalisation d’Adrian Lyne (auteur de Liaison Fatale et Flashdance, un cinéma tout à fait normé et mainstream, bien que traversé par le doute et la crise), dont le scénariste est le même que celui de Ghost sorti dans la foulée ; c’est pourtant ce formalisme entre bis mystique et académisme étrange qui donne à L’Échelle de Jacob toute sa force. Allégorie d’un trauma psychologique et d’angoisses existentielles combinés, le film, comme son titre l’indique, raconte un périple éternel, la chute dans une cascade de sorties de piste, de retrouvailles horribles, de réminiscences écrasantes. C’est le récit d’un empilement coordonné de résolutions parfaites mais instables autour d’un noyau inconnu et menaçant ; au terme et autour du chemin, deux véritables interrogations seulement, le sens du monde et la consistance, voir la légitimité, de sa place en lui.


Pour faire la démonstration d’une réalité fuyante, L’échelle de Jacob prend le parti de l’immersion totale. Si le résultat manifeste est monstrueux, donnant le tournis par son subtil mélange de conformisme et d’irrationalité, tout repose pourtant sur des principes universels, ambigus certes, mais connus. Les fantômes du Viet-Nam sont ceux de tous les hommes qui se sont abîmés hors des circuits communs, pour qui la vie n’a plus de sens et aux yeux desquels les règles et les contrats tacites à l’œuvre dans la société ne sont que des contre-offensives dérisoires contre une réalité mystérieuse. Par-delà toutes considérations strictement évangélique ou doctrinaire, L’échelle de Jacob est une œuvre profondément agnostique. Elle colle le spectateur face à un déballage cru, entre fantasme et sensorialité rude, pour flirter avec l’abîme. L’homme apparaît totalement dépossédé de ses moyens, dépassé par des mécanismes qu’il ne peut comprendre, dont il entrevoit les effets et l’hégémonie étendue à tous les domaines (ordre social, mensonge politique, fraternité entre les individus..), mais que sa conscience est incapable d’appréhender entièrement. Il les synthétise alors par des jugements qui sont nécessairement des mensonges ou des inventions en vue du contrôle, qu’il s’agisse de régresser (comme la secrétaire acariâtre) ou de trouver un point d’accès à l’omniscience (le filateur accablé).


Le film est profondément déstabilisant car il réussit la cohérence dans la déconstruction ; comme un rêve ou un cauchemar, il est indifférent à la logique (et donc au maintien d’un suivi concret dans le scénario) mais voué tout entier à la vérité d’un état (d’où le naturel absolu de ces péripéties et leur correspondance hors du champ explicite). Ainsi il donne à voir des vérités enchevêtrées les unes dans les autres, flirtant avec les délires les plus anxiogènes, passant par les complots et les bouffées délirantes ; mais cette illustration fiévreuse ne fait que se jouer par-delà un réel auquel le film est résigné et soumis, alors que son héros le nie de toutes ses forces. Pour tromper la mort imminente, l’esprit se déploie, gagné par la folie des grandeurs, une richesse d’interprétations et d’imagination chaotique, soigneusement structurée par le psychisme autour de thèmes cohérents. Par conséquent, les intrigues défilent et se répondent, comme dans un rêve agité, criant de sens tout en brimant toute compulsion rationnelle.


https://zogarok.wordpress.com/2015/05/04/lechelle-de-jacob/

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le 10 mai 2015

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