A la conquête des corps

C'est un feu d'artifice. Il y a tout ce qu'est le cinéma de Dumont dans son style burlesque bien sûr. C'est aussi son défaut, ce feu d'artifice a souvent des moments faibles qui ne s'embrasent pas. Mais on retrouve son naturalisme transcendantal, sa métaphysique, son amour pour les bons mots, et son rapport à l'humanité. Deux questions légitimes ont fait débat sur ce film et j'aimerais donner mon point de vue sans les fermer définitivement. D'autant plus que ces deux questions sont prescriptibles à tous les films de ce réal. La première est sur la misogynie représentée, la seconde questionne l'exotisme dans son regard.

1. La scène de l'agression sexuelle a fait débat (à raison). Une femme est forcée d'avoir un rapport et celle-ci ne va pas détester. Problématique mais le regard de Dumont est clair, l'homme est le prince du mal (mâle lol) et il est filmé comme tel. Il va dire des grossièretés et mal se comporter (main au cul). La victime représente le bien, envoûtée par le mal, et elle va donner sa chance au mal puisqu'elle pense qu'il y a du bon en chacun de nous. De plus, ce sont des extra-terrestres et ils veulent profiter de ce corps humain, de vice de luxure. Je ne pense pas qu'on puisse reprocher au film d'être misogyne sur ce point. Après, il répète les plans où l'on voit les culs et les seins des femmes. J'y vois des plans pervers mais aussi des plans témoignant que le corps crée des sensations, des pulsions aux Hommes, aux spectateurs mais aussi aux aliens comme si le corps (féminin) était par nature désirable et désirée pour sa chair. Sur ce point-là, il y a peut-être du sexisme, mais je pense surtout que c'est un homme hétéro et qu'il s'agit plus d'un "male gaze".

2. L'exotisme dans son cinéma, vaste question encore. Pour ce film, je pense qu'il voit les humains comme le voit le personnage de Luchini ou de Cottin, des êtres souvent misérables, parfois magnifiques, surtout aimables. Il nous regarde avec une sorte de nihilisme humaniste, dans lequel les Hommes balancent entre le bien et le mal, le pire et le meilleur, mais gardent une beauté unique. Pour lui, cette beauté humaine est dans chacun de nous, dans le pire salopard autant que dans le plus grand des saints. Donc il y a des plans pathétiques (la grand-mère), grotesques (policiers), idiots (Rudy), beaux (Lyna Khoudri), fiers (les paysans sur leurs chevaux), mais ils sont souvent un peu de tout ça en même temps et c'est ce qui fait la force de ces images. Si quelqu'un n'y voit que la bêtise ou que l'honneur mal placé, c'est seulement sa projection qui envahit les images parce qu'elles sont bien plus que ça. Et même si c'est dur, et que tout le monde le fait, il faut se forcer à voir les images dans leur entièreté, pas seulement en projetant nos visions dessus. Ainsi quand il filme la femme lambda qui parle de ses courses à la maire (Cottin), il capture l'exotisme (l'accent, le vocabulaire) autant que sa gentille banalité, le comique de situation (alien qui parle à un humain), et tout ce qui fait humanité dans cette femme. N'y voir que du mépris de la part de Dumont serait une mauvaise interprétation, pour ce film du moins.

Aussi, j'aimerais étayer le sujet des paysages récurrents chez ce cinéaste. Ces côtes sont filmées assez platement et possèdent moins de beauté (plans au drone chancelant) que dans ces autres films. Cependant il y ajoute tellement bien ses incrustations de science-fiction qu'il arrive à retourner leur nature. Par exemple, un bunker, sûrement de la seconde guerre mondiale, est déjoué par Dumont et devient le socle d'un vaisseau spatial.

J'ai aussi adoré quand le film prend la forme d'un jeu d'enfant. Comme si ces jeunes jouaient au flic et au voleur, en utilisant un champ lexical très restreint (les 1 et les 0, le bien et le mal) et en se faisant gronder par leurs parents. Il me rappelle la vie des jeunes en campagne qui s'imaginent faire des combats apocalyptiques pour la survie de la terre, à la Star Wars. Luchini est d'ailleurs comme un enfant, quand il sautille avant la bataille finale. Et l'on pourrait facilement croire qu'il s'agit d'un rêve capillotracté d'un jeune campagnard.

Pour terminer, ce film est tellement absurde et anti-académique que même les aficionados du cinéma de Dumont peuvent le rejeter. Mais j'espère avoir pu expliquer en quoi je l'aime et pourquoi je l'estime comme un grand film de cette année 2024.