Entre exotisme, érotisme et subtilité japonaise

La réputation sulfureuse du film ne ment pas : scènes de sexe crues, un certain masochisme. Dès les premières minutes on est happé dans l'empire des sens. Dans cette spirale infernale, la tension monte. Les deux amants bravent toujours plus d'interdits, de tabous. Leurs péripéties sexuelles vont toujours plus loin.


Et c'est là que la film dépasse son simple sujet, trivial. On voit le cercle de destruction dans lequel les personnages s'enferment. Lentement, l'empire des sens devient l'emprise des sens dont la mort est la finalité.


Le sexe devient alors autistique, une unique raison de vivre. D'ailleurs, ce couple qui profite des plaisirs du sexe, ne mange plus, ne sort plus. Reclus dans un cercle vicieux, ils attendent la mort. Ce besoin maladif de sexe devient une aliénation de la vie. Plus leur plaisir monte, plus ils meurent. Le spectateur prends plaisir mais voit cette mort inévitable approcher. Qu'importe, il reste le plaisir des sens, et le bonheur du sexe, simple mais mortifère.


Pourtant, le film est aussi paradoxale. Il y a quelque chose de l'ordre de la bouffonnerie dans le film, où les situations sont cousues de fil blanc. Les personnages sont caricaturaux. Comme dans la vie, les Japonais sont toujours à la frontière entre la tragédie et le cynisme. Ils regardent non sans un sourire la destruction de leur propre existence, ce qui leur donne une dignité proche de l'héroïsme et un flegme proche de celui des Britanniques.


Dans un Japon traditionnel, la liberté de ce couple contraste étrangement ainsi que leur absence totale de pudeur. Ces corps dénudés, ces scènes non-simulées ne sont pas les représentations malsaines de la pornographie. Il y a une véritable interrogation sur la place du sexe dans une histoire d'amour, sur les conséquences du plaisir. Au fond, le film n'est pas libertin ou libertaire. Il est presque réactionnaire : "regardez où le sexe mène, il conduit à la mort ", semble être la morale du film. Pourtant, il existe au-delà de cette morale une dimension psychanalytique évidente. Eros et Thanatos sont toujours liés. Quel place pour le plaisir et les sens dans nos existences ?


Le film est exotique, sulfureux. Ces effets sont artificiels, et grossiers. Et pourtant, comme pour l'art japonais, derrière l'apparente simplicité se cachent dans l'art du détail la subtilité et la poésie. Chez les Japonais, le sens des choses n'est jamais là où il devrait être. Dans aucune autre civilisation que la civilisation japonaise un tel contraste entre la chair nue et sensuelle et la pudeur, la retenue et l'élégance n'aurait pu être visible. L'exotisme assurément apporte une touche neuve et un regard étrange sur le sexe dans nos sociétés.


Un film à part, assurément.

Tom_Ab

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