La comparaison avec Autant en emporte le vent est plutôt claire avec ce même contexte de la guerre de Sécession sur fond de questionnement racial dans le Sud des États-Unis. En bonus, la présence de Clark Gable n'est pas anodine. Mais contrairement au film de Victor Fleming, qui dressait un portrait d'esclaves noirs aimant leurs maîtres sans s'interroger sur leur condition, Raoul Walsh met en avant des Afro-Américains qui n'acceptent plus leur place malgré la bonté progressiste de l'esclavagiste. En effet, ils considèrent que cette bonté est pire qu'une condition violente, car elle ne donne aucune raison de se rebeller et renforce le déterminisme d'être enchaîné à vie. L'auteur narre le récit à travers le cheminement d'une riche héritière qui découvre qu'elle a du sang noir. Par son point de vue, le spectateur constate les positions complexes liées à cette servitude entre maître et esclave, tout en s'éloignant de l'aspect plus crédule d’Autant en emporte le vent.
Cela, on le doit aux portraits de parias, de marginaux et de déclassés chers à la filmographie de l'auteur. À l'image du personnage éloquent de Gable, qui est un riche propriétaire et mystérieux aventurier marin au passé trouble duquel il se sent encore emprisonné. Il vit avec la jeune femme qu'il protège après l'avoir achetée puis tombe amoureux de celle-ci. Il découle ainsi une passion faite de sensualité et d’ambiguïté liées à son passé de trafiquant d'esclaves. Auprès d'elle, il tente de se racheter pour absoudre les péchés de ce passé à la fois glorieux et horrible. En toute logique, Walsh brosse le portrait d'individus en quête de liberté et qui veulent s'extraire des exigences de la société. Chacun tente de retrouver sa liberté individuelle à travers une énergie sexuelle, vitale et composée de puissance. Par exemple, le protagoniste de Sidney Poitier, le serviteur du propriétaire, connaît son rôle historique et va donc fuir pour s'enrôler dans l'armée du Nord, celle qui est abolitionniste. À la fin, il doit faire le choix de capturer ou non son ancien maître, mais il décide de ne pas le faire.
Par là, le réalisateur démontre que chacun a son propre libre arbitre et que la liberté est nécessairement liée à un choix moral dont nous sommes le maître. C'est pourquoi, malgré une esthétique qui paraît surannée, L'Esclave libre contient une profonde modernité dans ses thèmes et sa façon de les aborder. D'autant plus que le long-métrage aborde des questions comme la sexualité dans l'esclavage et creuse ce sillon avec une tension érotique tourmentée. Son approche fougueuse, son souffle romanesque, son aisance et sa concision en font un objet impétueux, tortueux, virevoltant et brûlant, à l'instar de cette image où Gable brûle tous les champs de coton et de canne à sucre. Une scène symbolique qui résonne comme une tentative de détruire un passé duquel seuls les choix décisifs du présent peuvent diriger la boussole morale d'un héros américain.