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le 25 févr. 2020
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Une calèche brinquebalante dans une lugubre forêt américaine, une altercation musclée entre deux hommes et une fusillade qui l’est tout autant : les premières minutes de L’État Sauvage ne semblent pas sortir des sentiers battus, convoquant aussi bien le baroque de Andrew Dominik (L’Assassinat de Jesse James par le Lâche Robert Ford) et la violence crépusculaire de Clint Eastwood (Impitoyable) ou de Sam Peckinpah (Pat Garett et Billy Le Kid). Heureusement, c’était sans compter sur la malice de David Perrault, qui parvient tant bien que mal à user des codes du western pour mieux les déconstruire, à travers une œuvre maladroite et inaboutie, mais qui parvient à offrir un spectacle plutôt solide.
Car, passé le prologue, le sujet et la démarche amorcées sont tout autres, troquant les figures masculines burinées pour une petite famille de colons français, majoritairement composée de jeunes femmes qui doivent fuir vers l’Europe. Le récit commence alors à déployer toute la puissance de l’émancipation puisque ici, l’homme n’est pas le bienvenu et est uniquement source de conflit. La place de Victor, archétype du cow-boy eastwoodien incarné par Kevin Janssens, devient alors toute particulière. De son idylle avec Esther (Alice Isaaz), David Perrault tire justement tout le mal qui ronge ce vagabond, mais aussi tout le reste des Hommes, des soldats nordistes jusqu’aux chasseurs de prime sans visages. Pour le protagoniste de Alice Isazz comme pour le reste de la sororité, le détachement à ces derniers deviendra nécessaire, à mesure qu’ils attirent la violence inhérente au western. Un besoin de détachement qui s’illustrera à travers Bettie, antagoniste et alter-ego de Esther, prisonnière de la présence masculine.
La grande force, mais aussi la faiblesse de L’État Sauvage tient justement des portraits qu’il établit sur ce voyage à travers le continent américain. Chaque personnage possède un arc fort et parfois très original, qui pourrait être le sujet de belles séquences. Seulement, tout le travail ploie souvent sous le poids de ses ambitions car, des 1h48 que durent cette ballade, seule l’intrigue amoureuse gagne en profondeur, au détriment de toutes les autres qui s’effacent peut à peu et perdent de leur impact. La grandiloquence des dialogues ne vient irrémédiablement pas aider le tout puisque Perrault a beau déployer de longues tirades trop emphatiques, elles ne parviennent pas à masquer le manque de développement qui touche l’ensemble du casting secondaire.
Face à cette narration frustrante, L’État Sauvage finit par trouver sa force dans un esthétisme de haute volée. Jonglant entre les références précédemment citées, Perrault parvient à tirer une harmonie visuelle qui alterne constamment entre ses tendances réalistes et ses influences plus baroques. Celles-ci vont même jusqu’à côtoyer le cinéma de genre, notamment dans ce final où les clairs-obscurs et les silhouettes masquées de la horde sauvage ramènent aux élans fantasques de John Carpenter ou Dario Argento. Des intentions de mise en scène qui, là encore, fonctionnent sur une majeure partie du long-métrage, mais trouvent parfois leurs limites, lorsque le réalisme omniprésent du film se heurte à l’insertion du bizarre, à l’image dudit climax ou d’une scène tournant autour de la charrette familiale, dans laquelle le lyrisme de Perrault vient mettre à mal la cohérence spatiale.
Et pourtant, lorsque retentissent les mélodies lancinantes de Sébastien Perrault, que les superbes lumières expressionnistes de Christophe Duchange baignent l’écran sous une douce atmosphère picturale et que la caméra de Perrault embrasse le tout pour le sublimer par ses mouvements élégants, L’État Sauvage offre un spectacle envoûtant, dont la poésie qui se détache de chaque plan réussit tant bien que mal à dissimuler les grosses maladresses narratives qui viennent handicaper un récit aux mille promesses.
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le 29 févr. 2020
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