Ce film a mauvaise réputation et n'est pas considéré comme un Hitchcock majeur, la critique de l'époque lui ayant reproché son intrigue confuse et peu crédible ainsi que ses personnages sans épaisseur ; certes il n'est pas parfait et présente quelques défauts, mais il vaut mieux que ça, et chaque scène bien maitrisée est pour le Maître un brillant exemple de narration dramatique.
Le casting international où l'on trouve un Australien, une Allemande, des Français et des Américains, fait le job, et l'humour noir d'Hitchcock apparait parfois au second degré dans la description de ces services secrets français versatiles qui se baladent entre le KGB et la CIA. Hitchcock semble se moquer de cette guerre des espions qui s'épient et s'affrontent dans un restaurant parisien, pour lui, SDECE, CIA, KGB, Cubains, c'est du pareil au même, il n'y en pas un pour racheter l'autre.
Le film suit assez fidèlement le roman de Léon Uris, "Topaz", qui se déroule dans le monde des services secrets pendant la guerre froide ; pour Hitchcock, c'est l'occasion de retrouver un style de film à courses-poursuites où se mêlent intrigue à aventure mouvementée, suspense et humour noir, comme dans Cinquième colonne, Correspondant 17 ou la Mort aux trousses. L'ennui, c'est que le public en 1969 ne s'intéressait plus guère à ce genre d'intrigue.
Hitchcock a suivi le roman de Uris dont il a gardé les principales péripéties tout en écartant l'antipathie que l'auteur portait au général De Gaulle ; à cette époque, l'Amérique voyait en effet d'un mauvais oeil la politique de rapprochement de De Gaulle avec Moscou, d'où le fait que le Maître voit cette valse d'espions sous un oeil amusé et moqueur. Il s'attache surtout à quelques scènes ou à quelques plans, dont certaines scènes sont particulièrement réussies, telle la mort de Juanita de Cordoba (incarnée par la belle Karin Dor) qui complote contre la politique de Rico Parra, véritable sosie de Castro incarné par un John Vernon "cubanisé" : après un échange de paroles douces à l'oreille (dans un plan qui rappelle l'Homme qui en savait trop), un coup de feu retentit, la jeune femme tombe à terre et sa longue robe rouge semble se déployer comme la corolle d'une fleur, ce plan filmé en plongée est véritablement magnifique. Parmi d'autres scènes réussies : le suspense dans la grande scène du QG de Parra à Harlem (décor recrée en studio avec beaucoup de soin), ou encore la fuite de Kusenov au début du film.
Le thème de la trahison est donc au coeur de ce film d'espionnage bien dans la tradition hitchcockienne, et malgré des moments de faiblesse qui résident dans l'intrigue sentimentale guère intéressante, on peut dire que le Maître a su tisser les liens politiques, professionnels et sentimentaux de l'ambiguïté d'un scénario marqué par l'indiscutable griffe d'Hitchcock, en menant habilement son intrigue entre Copenhague, La Havane, New York et Paris.
Un autre tracas qui a peut-être affaibli le film est l'embarras d'Hitchcock pour son dénouement : la rumeur veut qu'il ait tourné 5 fins différentes, mais d'après ce que j'ai lu à droite à gauche, il n'y en aurait eu que 3 de certaines ; d'après plusieurs observateurs, aucune de ces fins n'est satisfaisante, moi je crois qu'ils ont tort, la fin retenue semble la plus plausible.
Le film fut un échec à sa sortie, mais comme je l'ai dit, beaucoup de gens alimentent sa mauvaise réputation avec ardeur, j'ignore pourquoi, sont-ils vraiment déçus ou rentrent-ils dans une spirale négative parce que ça fait bien ? bah moi je dis qu'un Hitchcock même mineur vaut le coup d'être vu, n'en déplaise aux ronchons et aux détracteurs qui pensaient que le Maître était fini en 1969, il leur apportera la preuve du contraire avec Frenzy.

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le 11 nov. 2019

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