Enfin voici venir Noël au pays d’Halloween et… ma découverte du joyau de Henry Selick et Tim Burton : le second ayant fort à faire sur Batman Returns, le premier recevait la charge de sa réalisation, ardue du fait de sa conception mais à la hauteur de ses prétentions. Mais si l’ombre de Burton est tangible jusque dans le moindre bout d’os de ce conte à nul autre pareil, faut-il pour autant déposséder Selick de la parenté du film ?
Certainement pas, l’A.D.N. burtonien n’excluant en rien la patte (réussie) de son successeur : d’ailleurs devenu un spécialiste de l’animation en volume, Selick se fend là d’une œuvre culte en son genre, sorte d’O.V.N.I. ayant coloré l’année 1993 d’une drôle de manière. Conte gothique doué d’un ton mordant comme merveilleux, il nous dépeint les pérégrinations de Jack, le « Pumpkin King » de la ville d’Halloween : figure reconnue de ses pairs en matière d’épouvante, ce fin trublion filiforme est toutefois lassé de ces jeux d’horreurs car la routine le frappe… horreur !
Par-delà son originalité palpable, les motifs de satisfaction que suscite The Nightmare Before Christmas sont nombreux et, surtout, formels : puisant dans le scénario de Burton et ses dessins préparatoires, Selick dirige une vaste galerie de personnages tous plus tordus, difformes et grinçants les uns que les autres. Tirant pleinement profit de l’animation en volume, il confère aux habitants d’Halloween une teneur saisissante, donnant paradoxalement vie à un univers fait de morts, goules et monstruosités.
Et puis vient, bien entendu, son atmosphère délicieuse : sur ce point, les notes fameuses de « This is Halloween » constituent une introduction en fanfare, pour ne pas dire enchanteresse. S’il s’agit à n’en pas douter de son titre le plus emblématique, la bande-originale de l’indéboulonnable Danny Elfman se veut le parfait support d’une trame malicieuse, elle qui n’aura de cesse de tourner en dérision et pervertir (à sa manière) la magie de Noël. Pour ce faire, le long-métrage se joue avec brio de la lassitude, de l’enthousiasme et de la naïveté d’un Jack volontaire : mais « importer » une tradition aussi éloignée que celle des citrouilles et frayeurs de tous poils n’est pas si simple, loin s’en faut.
À présent, pourquoi donc ne pas gratifier The Nightmare Before Christmas de quelques étoiles supplémentaires ? En réalité, ses prétentions atypiques et morbides tendent peu à peu à s’estomper, se réduisant à un rôle d’outils servant une intrigue plus féérique qu’il n’y paraissait. La profusion de musiques accentue cette impression, au même titre que la romance (heureusement chaotique) de Jack et Sally, tandis que le personnage de Oogie Boogie interroge : un tel antagoniste était-il indispensable ?
Sans parler du revirement opportuniste de Lock, Shock et Barrel (qui confine à l’incohérent), il est regrettable que le film se laisse aller à faire de Jack un chevalier secourant sa princesse Sally : de l’épouvante polymorphe, aussi amusante et ironique soit-elle, au conte de fée, il n’y aurait donc qu’un pas ? Tel est à tout le moins mon sentiment au sortir de The Nightmare Before Christmas, qui fait ainsi mine de se saborder en troquant sa verve acide pour un costume qui lui convient moins… au-delà, l’expérience vaut la peine d’être vécue, ne serait-ce que pour voir et revoir ces enfants et parents médusés au pied du sapin.