L'Étranger
6.4
L'Étranger

Film de François Ozon (2025)

Ozon s'attaque à Camus avec détermination et offre un film fidèle à la philosophie du "Mythe de Sisyphe" sur l'absurdité de la vie en trahissant "L'étranger" pour mieux lui rester fidèle de manière ambivalente. Déjà l'abandon de toute voix off - à deux petites exceptions près avec une fidélité complète au texte - est salutaire et le film ne commence donc pas par sur la fameuse phrase trop connue mais par "j'ai tué un arabe", premiers mots prononcés en français lors de la scène introductive de l'incarcération de Meursault.


L'atmosphère du film, nimbée d'une lumière magnifique ou les blancs éclatants de soleil et les noirs d'une profondeur de jais font oublier l'absence de couleur, est parfaitement maîtrisée. Les plans sont cadrés avec un soin et une esthétique vraiment raffinée toujours au service du propos.


Ozon aime ses acteurs, la façon dont il filme Benjamin Voisin en constitue la preuve palpable.

La restitution de l'Alger colonial confère au film tout le sens profond du livre de Camus, les petites touches comme la pancarte "salle interdite aux indigènes" au cinéma où le couple va voir "Le Schpountz" ou les propos de la sœur du jeune arabe assassiné par Meursault, à destination de Marie (magnifique Rebecca Marder) lors du procès et surtout le rire de dépit qu'elle exprime quand Marie lui dit "qu'ici c'est chez lui" en parlant de l'Algérie de Meursault en constitue la synthèse parfaite.


La composition de Benjamin Voisin pour donner vie à Meursault force le respect, cet être, qui semble naviguer dans un autre monde, lui qui a accepté la fatalité de ce qu'est une vie qui passe sans chercher à en comprendre le sens ou sans s'attacher à ressentir des sentiments superflus qui ne changeront rien face à ce qui advient.


La digue ne se rompt qu'une seule fois, lors d'une scène d'anthologie, vibrante et sensible, lorsque le si peu loquace Meursault congédie avec force l’aumônier, campé par un Swann Arlaud dégoulinant de prédation, en lui disant ses quatre vérités, renvoyant ce mauvais corbeau loin de la cage où lui Meursault se trouve. Les répliques de Meursault sonnent avec une justesse et une intensité magnifique de philosophie camusienne. Une épiphanie dans cette œuvre.


Malgré tous ces atouts, le film n'évite cependant pas certains écueils, comme la présence de plusieurs longueurs, qui s'avèrent cependant nécessaires pour donner encore plus de force à l'intensité du final où l'arabe assassiné trouve un nom (même Kamel Daoud dans son livre Meursault contre-enquête ne l'avait pas fait).

En tous les cas François Ozon signe un film réussi dans un écrin tout de noir et blanc, une absence de couleur magnifiée comme rarement.

Zebre39
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le 2 nov. 2025

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