Lueur sur la mer
La mer s’ouvre comme un silence ancien, et sur ce silence s’installe un regard qui n’explique rien mais qui sait tout. La lumière se fend, lente et tranchante, creuse la peau des visages et laisse...
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Vous n’êtes pas le premier, ni le dernier à avoir tué un Arabe
Un homme s’apprête à comparaître devant la justice pour avoir, dans un accès d’énigmatique fureur solaire, déchargé à cinq reprises son arme contre un Arabe quelconque.
Transposer L'Étranger à l’écran relevait d’une entreprise héracléenne : rendre visible l’invisible, matérialiser l’indicible, et prêter une chair filmique à la désinvolture ontologique du protagoniste. Le cinéaste, dans un élan téméraire mais non sans maladresse, s’emploie à capter cette radicalité évasive, cette insaisissable apathie du protagoniste, dont la glaçante indifférence semble toujours se dérober à toute saisie morale ou psychologique. En cela, le film réussit partiellement l’exploit de transposer à l’écran la vacuité dense — osons le paradoxe — d’un être que rien n’émeut et que tout traverse sans l’altérer.
Une des scènes liminaires, dans l’asile, où un employé à la physionomie terne interroge Meursault sur son désir de contempler la dépouille maternelle, cristallise à elle seule l’essence du roman. Le refus placide du héros — « cela ne sert à rien » — résonne ici avec une crudité d’autant plus déconcertante que la caméra, pudique, se détourne du cadavre pour scruter le visage impassible de celui qui ne joue pas le jeu du deuil. Et l’on se surprend à penser que, oui, pourquoi feindre ? Pourquoi s’infliger la pantomime des sentiments convenus ?
La photographie en noir et blanc est somptueusement granuleuse. Les paysages algérois, gorgés d’un soleil tyrannique, suintent une chaleur qui semble consummer les consciences. Chaque reflet, chaque ombre, chaque miroitement de sueur sur la tempe du héros évoque ce soleil de plomb, cet astre inquisitorial qui écrase l’homme sous le poids du réel.
Mais hélas, là où le texte camusien nous aveuglait d’une lumière métaphysique, le film choisit de donner une image : au lieu du soleil transcendant poussant le héros au meurtre, nous avons droit à un Arabe risiblement armé de son opinelle, dont la lame, plus ridicule que fatale, singe le destin. Le symbole solaire s’y trouve désacralisé.
Adapter un roman fondé sur la subjectivité nue, sur la solitude du regard, relevait d’une aporétique entreprise. Comment filmer l’absence d’affect, comment donner forme à la vacuité ? Le réalisateur, prisonnier de cette impossibilité, contourne le gouffre en l’enjolivant : l’omniprésence de Marie, parée ici d’une douceur hagiographique, humanise Meursault, le rend « pas tout à fait étranger », et romance ce qui, dans le livre, était désert et dénuement. De cette dilution naît un personnage moins opaque, moins abrupt, plus aimable — et donc, plus trahi.
Bref, cette relecture se veut postcoloniale, voire déconstructiviste : le personnage principal n’y est plus le meurtrier absurde d’un homme sans nom, mais le produit symptomatique d’un système colonial qui engendre sa propre violence. Le hasard devient structure, l’indifférence, symptôme ; la culpabilité, un legs historique.
Si cette relecture éclaire d’un jour nouveau l’ambiguïté de l’œuvre, elle en altère aussi la portée universelle : le héros n’est plus l’homme nu face à l’absurde, mais le simple reflet blafard d’un contexte politique, désincarnant par excès d’intention ce que Camus voulait nu et muet.
Dans le roman, Meursault ne manifeste aucun repentir, ni émotion explosive au moment de sa condamnation : la mort, pour lui, ne suscite ni effroi ni remords. Même face à l’inéluctable, il conserve cette étrange impassibilité, ce calme inflexible qui le caractérise depuis la première page. Il n’implore pas, ne s’indigne pas, n’attend rien. Son silence n’est pas un vide, mais une manière d’être au monde — une acceptation, débarrassée de tout mensonge sentimental. Meursault ne craque pas, il s’éveille.
Le film, toutefois, prend une autre tangente : là où l’écrivain offrait une sérénité glacée, le réalisateur choisit de faire affleurer la fêlure. À l’écran, le héros vacille, sa respiration s’accélère, un tremblement imperceptible trouble enfin son masque de pierre. La caméra semble vouloir humaniser l’inhumain, rendre audible ce qui, chez Camus, demeurait muet. Cette différence fondamentale révèle le projet même du film : là où le roman dit l’absurde, le film cherche l’émotion — et ce glissement trahit peut-être l’énigme centrale du personnage.
Métrage à la fois fastueux et frustrant, sublime et contrefait, cette adaptation, tout en réussissant à filmer l’indifférence, échoue à en faire un vertige. Une œuvre belle comme une cendre : incandescente, mais déjà refroidie.
Sa pire maladie, c’était la vieillesse et de celle-là, on ne guérit pas
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il y a 8 heures
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