Un film qui aurait pu être d’un bien meilleur résultat, tant le matériau d’origine le livre « L’étranger » d’Albert Camus offrait une matière infiniment riche à explorer, peut être trop philosophiquement profond pour être adapter. Ici, la mise en scène reste un peu trop sage, presque illustrative, et n’égale jamais l’impact du roman de Camus. Pour ceux qui ne connaissent pas le texte, le film risque d’apparaître comme une suite de scènes belles mais pas assez démonstrative, une carte postale d’absurde sans véritable souffle intérieur.
Rebecca Marder, qui incarne Marie, peine à trouver la justesse du personnage, elle surjoue, comme si elle cherchait à compenser le mutisme de Meursault par un trop-plein d’émotion. Elle est certes lumineuse, mais sa présence manque d’intériorité. À l’inverse, Benjamin Voisin parvient à capturer quelque chose du silence et de l’opacité du héros camusien. Il est bon, même si la direction d’acteur semble hésiter entre le réalisme et la pose conceptuelle.
Regarder ce film, c’est observer un homme qui ne dit presque rien, qui n’exprime que l’essentiel, et c’est précisément ce silence qui déroute. Le spectateur oscille entre fascination et frustration, à la recherche de ce qui se passe à l’intérieur d’un être presque vide. J’aime cet aspect-là, le fait que le film nous laisse habiter ses silences, tenter d’imaginer ce qui se pense derrière un regard fixe. Peut-être qu’une voix off aurait trahi ce mystère, sauf si elle avait eu cette gravité, cette densité rare qui fait exister le non-dit.
Visuellement, le film est d’une beauté à souligner, chaque plan semble pensé comme une photographie, baignée de lumière, parfois à la limite du pictural. Mais cette beauté plastique devient paradoxalement un obstacle. On reste à la surface. C’est esthétiquement réussi, émotionnellement distant. On voudrait que la mise en scène approfondisse le vide intérieur, qu’elle ose davantage l’inconfort, la dissonance, l’ombre.
Parmi les seconds rôles, l’actrice qui interprète la sœur de l’Arabe apporte une intensité inattendue, presque sauvage, et Denis Lavant apporte, comme souvent, une texture brute, un supplément d’âme au milieu de ce formalisme glacé.
En résumé, L’Étranger version cinéma laisse une impression d’inachevé, un film qui regarde Camus sans vraiment le comprendre, qui contemple son héros au lieu de l’incarner. On en sort un peu comme Meursault lui-même, conscient de la beauté du monde, mais étrangement détaché de ce qu’il raconte.