L'Étranger
6.4
L'Étranger

Film de François Ozon (2025)

Meursault est incarcéré, accusé de meurtre. Dans sa cellule, il attend son procès.


Dès les premières images, François Ozon annonce la couleur : actualités d’époque glorifiant l’influence française sur une pauvre Algérie, puis le titre en abjad, avant que L’Étranger ne vienne s’y superposer. Enfin, les premiers mots de Meursault : « J’ai tué un Arabe », remplaçant le célèbre incipit « Aujourd’hui, maman est morte », relégué à une conversation plus tardive.


Cette relecture du roman de Camus s’inscrit résolument dans une perspective postcoloniale. Ozon se doit de donner un nom et un prénom à la victime, ainsi qu’à sa sœur, qui s’opposent comme ils le peuvent à l’occupant. Les femmes gagnent aussi en présence : Marie, fiancée du faux héros, apporte un supplément d’âme à ce récit aride.


Mais la caméra n’a d’œil que pour Meursault. Malgré l’indifférence, Benjamin Voisin fait la différence. Son personnage, étranger au monde et à lui-même, ne sait ni ressentir ni réagir : un cercueil fermé, un vieillard qui chute, un chien battu, une maîtresse violentée, rien ne l’émeut. À une demande en mariage, il répond par un « Ca m’est égal » dénué de tout romantisme. Cette insensibilité dérange, agace. S’il est condamné, ce n’est pas pour avoir tué un indigène, mais pour ne pas avoir pleuré sa mère. C’est là que l’adaptation prend toute sa valeur : dans une mise en scène sobre et mutique, débarrassée d’une voix off qui aurait alourdi l’ensemble. Jusqu’à ce qu’un procès plus conventionnel et une incarcération bien trop longue viennent affaiblir ces débuts marquants.


Mais Ozon désire plus qu’un bloc glacé de sueur. Dans un noir et blanc somptueux, il magnifie le corps et le regard de Voisin, qu’il révélait dans Été 85. En plein soleil, l’acteur devient un jeune Delon, irradiant de sensualité. Lorsqu’il tire sur Moussa Hamdani, c’est après avoir scruté sa bouche, ses aisselles, et ce couteau brandi à hauteur d’entrejambe. L’homoérotisme affleure, jusque dans la cellule face à un prêtre qui lui demande s’il peut l’embrasser. L’argument peine à convaincre, mais, grâce à Dieu, Ozon l’infidèle ose encore et toujours.


(6.5/10)

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