Un Etat dans un sale état.Bertrand Saint-Jean,ministre des transports,file un mauvais coton.Le gouvernement dont il fait partie,toujours à court de pognon,veut privatiser les gares SNCF,mesure à laquelle il est opposé.Mais comme l'a dit autrefois Chevènement,"un ministre,ça ferme sa gueule ou ça démissionne".Saint-Jean démissionnerait bien,mais pas sans avoir au préalable trouvé un point de chute,grande mairie ou Cour des Comptes.En attendant,il avale la couleuvre et accepte de mener à bien la réforme.Pierre Schoeller,réalisateur et scénariste,nous offre un portrait saisissant de ce repaire de cancrelats qu'est la politique française.Nous suivons quasiment en permanence la vie de ce ministre mal en point.Stressé,humilié,désavoué publiquement par sa hiérarchie,le mec est borderline et abuse du tabac et de l'alcool,ignorant superbement les mises en garde dont nous abreuvent nos élus si soucieux de notre santé,tout comme il se fout des conseils de la Sécurité Routière,ce qui aura d'ailleurs des conséquences dramatiques.Collant au plus près du personnage,Schoeller décrit de manière factuelle et froide les moeurs pourries de nos politocards.Saint-Jean était sans doute un pur au départ,un type qui croyait pouvoir être utile et changer les choses.Mais là,parvenu au point culminant de sa carrière,il est méchamment lessivé et en a pas mal rabattu.Passant plus de temps dans sa voiture avec chauffeur que dans son bureau,il travaille peu ses dossiers et se consume en incessants déplacements qui le mènent de réunions politiques en Conseils des Ministres,en passant par le lieu d'un dramatique accident où il doit contempler gravement des cadavres d'adolescents,une manif où il est chahuté par des militants CGT énervés,des entreprises où il récite des discours creux et lénifiants,des soirées mondaines ou les studios d'Europe 1 où il doit subir les questions pressantes d'un débile comme Marc-Olivier Fogiel dans son propre rôle.Le gars ne sait plus où il habite,est coupé des réalités et vit dans un tourbillon permanent qu'il peine à maîtriser.De plus,son emploi du temps surchargé l'isole de sa famille,qu'il voit peu.Seul à crever,il finira par s'inviter chez son chauffeur pour passer la soirée.Mais le vrai problème,celui que dénonce l'auteur,est que Saint-Jean,comme ses collègues,ne sert en réalité à rien.Ces gens ne sont que les acteurs diaphanes d'un théâtre d'ombres mis en scène par d'autres,ils constituent un gang de prête-noms,ils n'exercent que l'illusion d'un pouvoir qui n'est plus entre leurs mains depuis longtemps.Leur rôle,c'est de donner le change,de servir de tampon,de calmer les foules quand elles deviennent trop vindicatives,comme les employés zélés de l'oligarchie cachée qu'ils sont.Et aussi de faire fructifier leur lucrative carrière,ce qui leur prend également beaucoup de temps.Faire prospérer notre pauvre pays en faillite n'est nullement au rang de leurs préoccupations.Le regard rivé sur les sondages de popularité et les prochaines élections,ils réfléchissent en priorité à la manière de conserver leurs postes ou d'en obtenir d'autres aussi payants,se livrant en coulisse à toutes sortes de magouilles.L'auteur désigne sans ambage le pouvoir profond,celui qui tire les ficelles dans l'ombre.Il s'agit des grandes entreprises,nationales ou surtout multinationales,qui décident des politiques à mener.Une scène est révélatrice à cet égard,quand le haut fonctionnaire joué par le formidable Didier Bezace raconte en privé à un collègue qu'il quitte la fonction publique pour partir chez Vinci,car il en a marre de n'avoir prise sur rien,alors que les vraies décisions émanent de son nouvel employeur.Le film date de 2011 mais anticipe les évènements de façon visionnaire.Certes,on n'a pas encore privatisé les gares,mais des pans entiers du patrimoine national sont bradés,comme en atteste l'actuelle polémique à propos d'Aéroports de Paris.Vers la fin du film,Saint-Jean est transféré dans un autre ministère,où son rôle sera de calmer une insurrection populaire naissante,sept ans avant les Gilets Jaunes!Le principal reproche qu'on pourrait faire à "L'exercice de l'Etat" est sa propension à utiliser des dialogues littéraires et ampoulés moyennement crédibles.Olivier Gourmet,minéral,tient brillamment le premier rôle,alors que Michel Blanc,excellent,est le seul personnage échappant à ce jeu de massacre.Directeur de cabinet du ministre,il reste impassible en toute circonstance et,au milieu de ce marigot purulent,continue contre vents et marées à servir le pays dans la mesure du peu de pouvoir qu'on lui laisse.C'est un vétéran du système,un fonctionnaire à l'ancienne,qui écoute chez lui les discours de Malraux qu'il connait par coeur.Il est totalement anachronique dans le nouveau monde politique,ce que viendra confirmer la conclusion du film,qui verra son limogeage.Zabou Breitman,au talent sûr,est la communicante de service,la personne indispensable au sein de ce jeu biaisé où la communication prime largement sur l'action,le faire savoir ,ou plutôt le faire croire,ayant depuis longtemps remplacé le savoir-faire.C'est également plein de seconds rôles fameux apparaissant ici et là,tels Laurent Stocker,Abdelhafid Metalsi,Jacques Boudet,Eric Naggar ou François Vincentelli.Il s'agit d'une production franco-belge,à laquelle ont pris part les frères Dardenne,dont Gourmet est l'acteur fétiche.

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le 15 avr. 2019

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