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Avant la grandiloquence crépusculaire de La grande bellezza, avant la mécanique baroque d’Il Divo, Sorrentino signe une œuvre où l’Italie se raconte dans ses éclopés, ses naufragés de la célébrité, ceux que le système a façonnés avant de les rejeter. Deux hommes, un même nom : Antonio Pisapia. L’un chanteur de variété sur le déclin, l’autre footballeur brisé par une blessure.

Dès ce premier film, Sorrentino impose un regard, celui d’un moraliste sans illusion, d’un esthète du désenchantement. Car si l’Italie de L’homme en plus est encore loin des décors opulents et du fétichisme visuel des œuvres suivantes, elle contient déjà la mélancolie d’un monde qui ne sait plus quoi faire de ses idoles.

Deux Antonio Pisapia, deux existences suspendues au mirage de la réussite. Le premier, Tony, est un crooner arrogant, cocaïnomane et persuadé que son heure de gloire n’est pas révolue. Le second, plus taciturne, voit son avenir s’effondrer à la suite d’un accident qui le condamne à l’oubli.

Visuellement, L’homme en plus surprend par sa sobriété. Pas encore de travellings opératiques, pas d’excès chromatiques ni de délires baroques. Pourtant, le regard est déjà là.

Car dans cette austérité relative, certains motifs émergent déjà. L’usage du ralenti, qui fige les personnages dans un temps qui leur échappe. Le travail sur la bande-son, où la musique pop italienne devient le symptôme d’une époque qui recycle ses idoles.

Cette retenue fait de L’homme en plus une œuvre plus crue que les films suivants, un laboratoire où Sorrentino teste sa grammaire en privilégiant l’épure au grandiloquent.

Si L’homme en plus n’est pas frontalement politique, il n’en demeure pas moins un film qui scrute l’Italie avec lucidité. En prenant comme figures centrales un chanteur et un footballeur, Sorrentino choisit deux totems de la culture populaire, deux produits d’un système qui les transforme en divinités éphémères avant de les reléguer aux marges.

Cette cruauté sociale traverse tout le cinéma de Sorrentino. Il Divo racontera une autre forme de pouvoir, celle du politique, tout aussi impitoyable. La grande bellezza montrera l’envers du décor, où la vacuité mondaine n’est qu’une façon d’éviter la confrontation avec la réalité. Mais L’homme en plus garde une gravité plus brute : ici, le jeu est terminé avant même d’avoir vraiment commencé.

Il y a, dans cette œuvre, un pessimisme radical, une absence totale de consolation. Pas de rédemption, pas d’issue. Seulement deux figures spectrales qui errent dans un monde qui ne veut plus d’elles.

Plus tard, Sorrentino déploiera le même constat sous des formes plus baroques, avec des figures plus exubérantes. Mais ici, il n’a pas besoin d’artifices. L’homme en plus est un film sur la fin, et dès son premier long-métrage, Sorrentino filme l’Italie comme un pays qui ne sait que produire et abandonner ses héros.

cadreum
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le 31 mars 2025

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