« L’Homme qui n’a pas d’étoile » est un western en technicolor réalisé par King Vidor, sorti en 1955 avec Kirk Douglas, Jeanne Crain et Claire Trevor.


Kirk Douglas est Dempsey Rae, un cow-boy expérimenté qui arrive en ville via le train, qu’il emprunte toutefois sans payer le moindre billet. Confortablement installé dans un wagon à bestiaux, il fait la rencontre du jeune Jeff Jimson, qui partage sa manière de voyager. Les deux hommes se lient rapidement : Jeff est impressionné par l’aisance et l’expérience de Dempsey, tandis que celui-ci semble trouver un certain plaisir à "former" son jeune partenaire. Après une première soirée agitée en ville, nos deux compères sont embauchés par l’intermédiaire du plus grand propriétaire terrien de la région.


Le film, un western de facture tout à fait honorable, possède une vraie richesse qui lui confère un intérêt supplémentaire dans le sens où il aborde un grand nombre d’intrigues "secondaires" auxquelles il consacre, à chacune, de beaux moments.


L’enjeu principal est classique : c’est un cas de « Barbelés sur la prairie ». Il y a toutefois une distinction. D’habitude, l’histoire oppose des fermiers, las de voir leurs terrains piétinés par les immenses troupeaux de bovins, aux éleveurs. Ici, il s’agit plutôt d’une lutte entre plusieurs grands propriétaires. L’employeur de Dempsey et de Jeff, la dame de fer Reed Bowman, possède le troupeau le plus considérable, qu’elle laisse paître sur les terres de son choix. Cherchant à subsister, ses concurrents dressent du fil de fer barbelé autour de leurs territoires, coupant ainsi l’accès de Bowman à ses champs de prédilection.


Si les enjeux sont différents, la problématique principale, celle de l’emploi du barbelé, est bien maîtrisée. On pose la question de la liberté : jadis, les éleveurs ne posaient pas de limite entre leurs terres et s’entendaient en bonne intelligence pour laisser les troupeaux des uns et des autres paître à leur guise. Avec l’extension agressive de Bowman, les "petits" éleveurs font le choix de s’enfermer derrière une clôture de fil tranchant. Ils se privent ainsi volontairement de la liberté d’en sortir, mais, paradoxalement, s’offrent ainsi une dernière chance de prévenir leur disparition, faute de terres fertiles pour nourrir leurs bêtes. De l’autre côté du mur, les cow-boys, incarnés en premier lieu par Dempsey Rae, voient dans l’utilisation du barbelé une privation insupportable de leur propre liberté. Si le fil de fer encercle les terrains, il crée une séparation inéluctable entre les deux groupes ; les cow-boys se voient en quelque sorte enfermés dehors, chose que ces hommes épris de grands espaces ne peuvent tolérer.


La rupture est consommée, symbolisée par le repas à l’ambiance glaciale chez Cassidy, voisin de Bowman, où Dempsey et Jeff sortent sans mot dire. La liberté d’un cow-boy, et, à fortiori, d’un Américain, est peut-être son trésor le plus cher. Il n’est donc pas étonnant que les esprits s’échauffent et que les tensions atteignent donc rapidement le point de non-retour. Les personnages qui peuplent le western de Vidor font preuve d’une grande force de caractère ; c’est l’un des atouts du film. Les altercations, physiques ou verbales, sont multiples, incendiaires et particulièrement marquantes. Les exemples ne manquent pas : Dempsey/Cassidy, Dempsey/Bowman, Dempsey/Jeff… Kirk Douglas, incroyable de charisme animal et d’une émotivité à fleur de peau, est exceptionnel dans le personnage de Dempsey Rae, véritable clef de voûte du film. Les autres protagonistes ne sont toutefois pas en reste : ils sont bien écrits, variés et bien interprétés, ce qui donne une impression d’un casting d’ensemble sérieux, réaliste et réussi.


Le troisième aspect très bien traité dans le film est la relation entre Dempsey et Jeff. D’abord "maître et élève", ces deux-là deviennent très vite bons amis, et entretiennent une rivalité cordiale. Dempsey est un personnage qui cache une histoire derrière lui, sur laquelle il n’est guère prompt à s’épancher. Au contact de Jeff, à qui il sert autant de père de substitution que de grand-frère, il finit également par s’adoucir et par évoluer. Si les relations entre Dempsey et les autres protagonistes permet de faire progresser l’intrigue du film et en constitue l’ossature, c’est véritablement celle qu’il entretient avec Jeff qui en fait toute la saveur.


« L’Homme qui n’a pas d’étoile » est un western d’apparence très classique : la réalisation est sobre et efficace, l’histoire et ses enjeux ne sortent guère de l’ordinaire et le film présente son lot de paysages naturels photographiés en technicolor. Il se distingue toutefois à plus d’un titre ; par la variété de ses thèmes d’une part, par la qualité et l’exhaustivité du traitement de chacune de ses sous-intrigues. C’est également un western qui offre plusieurs beaux rôles féminins, en particulier celui de Reed Bowman, propriétaire terrien ambitieuse et impitoyable. Les acteurs sont très bons, en particulier Kirk Douglas qui est magnétique. Face à lui, Jeanne Crain est entrée dans la seconde partie de sa carrière ; celle de ses rôles un peu moins "gentillets".
Moi j’ai toujours été un peu amoureux de cette actrice, qui avait l’un des plus jolis minois de l’âge d’or et qui est curieusement moins connue que ses illustres consœurs. Alors, en rousse qui ne se laisse pas marcher sur les pieds dans un western, forcément, je rends les armes…

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le 13 août 2016

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Aramis

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