Je suis comme tout le monde, à l'annonce de la mort de David Bowie, j'étais triste. Non pas que j'ai connu le gars personnellement, mais avec une icône de la pop culture, on a tous des souvenirs personnels. En plus, le décès de Bowie avait un côté très Molière : l'homme qui avait tenu bon le temps de finir un dernier album-somme, puis qui s'était laissé aller deux jours après la sortie de ce dernier. D'une certaine façon, aurait-il pu partir autrement ? Et pourtant, les années qui suivirent furent un peu rude avec nous autres téléspectateurs, quand nous découvrîmes qu'il avait encore tellement de projets devant lui – mention spéciale à Twin Peaks où il ne sera jamais Phillip Jeffries. Bref, quand je tombais sur « L'homme qui venait d'ailleurs », je me dis que c'était une bonne façon d'approcher le Bowie acteur que je ne connaissais finalement pas tant que ça. Et en plus sur fond de SF à l'ancienne, avec un pitch juste assez flou pour amener tout un tas de possibilités à un film que l'on me décrivait déjà dans l'oreillette comme étant « plutôt psychédélique et long ». En me précisant qu'il faudrait éviter d'être trop souvent sur ma tablette. Je peux sacrifier deux heures de tablette pour David Bowie, quand même.


Thomas Newton, c'est le genre de gars à soigner ses entrées. Que dire de son entrée sur Terre, du coup ? Au sommet d'un bon gros tas de sable noir, à dégringoler sa carcasse dégingandé comme une marionnette squelettique emmitouflée dans une couverture. Bon, notre ami a l'air aussi paumé que je le suis en le voyant traîner sa silhouette immense, et du coup, il se fait quelques kopecks dans le magasin du coin, en revendant des alliances. Ça te pose un personnage. Bond dans le temps, on le voit en passager d'une longue berline avec chauffeur, débarquant hors des heures ouvrées chez un avocat spécialiste du brevet pour en déposer pas moins de neuf et débuter son empire financier. Bond dans le temps, avec voix-off de l'avocat, témoignant de l'incompréhension face à un personnage inhabituel comme ce bon vieux Newton, qui continue d'apparaître dans le champs, possédé et/ou en transe, toujours en décalage. Et le film continue, l'histoire de Newton devenant toujours plus flou à mesure que ce dernier laisse enfin entrevoir ses véritables motivations : retourner dans l'espace, vers sa planète natale – ah oui, au fait, Newton est un extraterrestre.


Pas facile de résumer le film sans donner l'impression qu'il ne raconte rien. Parce que, du coup, le pitch est un peu nébuleux, mais c'est pas forcément là que le métrage dévoile ses cartes. Bon, tout dans l'ordre : les acteurs d'abord. Si on parle beaucoup de Bowie, qui n'est pas tout à fait acteur dans le film puisque clairement, le rôle, c'est juste lui qui se promène sur Terre entre deux lignes de coke, on écarte quand même facilement les deux autres membres du trio de tête : la serveuse qui tombe passionnément amoureuse de notre bel extraterrestre et le scientifique qui l'aide à construire son ticket retour. Une amante passionnée incarnée par Candy Clark, dont le débit de paroles n'a d'égal que son débit de Gin ingurgitée durant le film, tout deux relevant de l'exploit, figure charnelle qui va enseigner à Newton les deux mamelles de l'humanité : le stupre et la télévision. Le scientifique lubrique ensuite, qui n'a de cesse d'additionner les étudiantes, avant que sa libido ne se prenne d'affection pour le mystère qu'érige autour de lui Newton, campé par un Rip Torn, quasiment en prequel à son rôle dans Men in Black. Deux facettes du personnage de Bowie, pris entre les attraits du monde humain qu'il découvre, et l'urgence presque physique qu'il éprouve à retourner dans l'espace. Une chouette trinité, heureusement incarnée par des acteurs de talent, qui forme quand même l'intérêt secondaire du film.


L'intérêt premier, il va falloir y être sensible : la mise en scène. Alors, elle est loin d'être parfaite, on ne va pas se le cacher et va toujours se trouver sur la corde raide, entre le ridicule et le lyrisme, lorgnant même parfois sur de la pédanterie pas toujours assumée. Il va falloir pardonner les inserts sur les portraits des deux amants, avec un solide regard caméra, durant la partie de jambes en l'air. Une fois mis de côté les effets de manche maladroit, on peut aborder sereinement ce que le métrage fait de mieux : la sensation d'être pris dans un rêve. Cela tient d'abord au manque total d'indication temporelle, qui oblige bien souvent le spectateur à compter les cheveux blancs qui s'accumulent sur les têtes de tout le monde (à l'exception de Bowie) pour situer l'action. Mais la sensation onirique est fermement ancrée dans la structure même du récit. Ainsi, la narration va prendre un malin plaisir à déjouer ses principaux enjeux hors-champs : Newton veut établir un empire de grosse thunasse pour financer sa future fusée, pas de soucis, en une ellipse, sa mégacorporation a déjà atomisé le marché. Un antagoniste (après une toute petite heure et demi de métrage, rien que ça) pointe le bout de son nez pour contrecarrer les plans habiles (je blague) de Bowie ? Hop, une petite ellipse et c'est bon, notre extraterrestre est déjà hors-jeu. Combien de temps se sont écoulés entre les différents éléments fédérateurs de l'intrigue ? Allez savoir. A mesure que l'histoire progresse, de toute façon, notre ami Newton s'égare dans sa mission, découvre le gin avec puis sans glace et les différents plaisirs onaniques que procure l'argent.


D'ailleurs, cette lente perdition amorce un dernier segment un peu longuet, qu'on voyait bien venir. Un point d'orgue où ce récit plutôt vaporeux s'abîme et ne progressera plus. Prisonnier, l'animal Bowie échoue à s'enfuir, échoue à vouloir s'enfuir même et pire, se rend compte qu'il est trop tard à présent : son déguisement d'humain lui colle si bien à la peau qu'il lui est impossible de le retirer ! Un retournement de situation qui aurait mérité de signer la fin du film - qui pourtant se prolonge encore, un peu inutilement. Dommage, c'était plutôt intéressant, de voir cet extraterrestre devenir, au-delà du prisonnier passif de forces antagonistes, un prisonnier d'abord de lui-même : celui qui voulait faire semblant d'être humain s'est laissé prendre au piège de notre égoïste condition - au point d'en oublier sa mission salutaire. A la place, on aura droit à une dernière nuit d'alcool avec son ex, une nudité bien frontale à l'écran et finalement, l'évasion la plus timorée de la grande histoire des escape rooms.


Nan mais ça va, à part ça : psychédélique et long, oui, mais pas dénué d'intérêt, ne serait-ce que pour voir un David Bowie tout jeune et tout spatial, qui voit des fantômes de cowboys dans le couché de soleil et cette discussion en plein désert : " Votre planète est souvent visitée. Bah, ça arrive, après tout, la mienne est souvent visitée elle aussi. " qui laisse un peu pantois de simplicité. Il faut déjà avoir le goût de la SF à l'ancienne, qui essaie de montrer ce qui ne peut l'être et n'hésite pas à patienter dans son récit pour l'exprimer. Moi, ça m'a suffi, mais ça n'a fait qu'apporter plus de frustration à cette question qui risque de me hanter encore : qu'aurait donné David Bowie dans l'univers de David Lynch ?

0eil
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le 23 nov. 2018

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