On pourrait séparer la filmographie de Billy Wilder en deux blocs distincts, avec, d’un côté, des drames cyniques et noirs, et, de l’autre, des comédies (souvent romantiques) elles-mêmes un brin cynique. Ce serait, en tout cas, une première façon très grossière de catégoriser les films du cinéaste américain. Mais il y en a un qui fait figure d’exception au milieu des autres : L’Odyssée de Charles Lindbergh.


Quel cinéaste, aussi libre souhaite-t-il être, aussi reconnaissable dans sa fibre artistique soit-il, n’a jamais eu, à un certain moment, à passer par la case du « film de commande » ? J’avais pu le constater en explorant la filmographie de John Carpenter, avec, par exemple, Les aventures d’un homme invisible, ou Starman. Cependant, cela n’avait pour autant pas affecté outre mesure l’inspiration du cinéaste, qui avait réussi à en faire deux bons films. Ici, nous retrouvons Billy Wilder dans la même situation avec son Odyssée de Charles Lindbergh. En tant que spectateur, la crainte est toujours de voir nos repères s’estomper derrière l’influence des studios et d’assister à un rendu aseptisé, manquant d’identité. Et, malgré la présence de James Stewart dans le rôle-titre, je craignais de ne voir qu’un Wilder « mineur ». Il faut l’avouer, la patte de Wilder se ressent moins dans ce film. Mais, pourtant, la surprise a été au rendez-vous.


Billy Wilder nous propose ici de rencontrer un pionnier, un jeune homme qui n’a pas froid aux yeux et qui veut relever de grands défis. Le portrait de Charles Lindbergh ici dressé est celui d’un enthousiaste, d’un grand optimiste, et il est guère surprenant de voir James Stewart dans un tel rôle, comme on a pu le voir dans le passé dans Mr Smith au Sénat ou La Vie est Belle. Pourtant, le grand écart d’âge entre le James Stewart de l’époque (48 ans) et le Charles Lindbergh de l’histoire (25 ans) aurait pu avoir raison de la crédibilité du film. Mais la spontanéité et l’implication de l’acteur, ancien aviateur lui-même, et qui a insisté et fait des efforts pour participer au film, prévalent sur des doutes du spectateur. Ainsi, ce dernier est vite emporté par l’énergie du personnage, et embarqué dans cette grande aventure humaine, dont l’issue est déjà connue, mais dont la découverte des coulisses, des tenants et des aboutissants, sont une véritable source de stimulation.


Le film se divise en deux parties distinctes : la préparation du vol, et le vol en lui-même, chaque partie représentant bien une moitié du film. A ce sujet, Billy Wilder structure intelligemment son récit, imbriquant divers flashbacks au fur et à mesure, pour mieux familiariser le spectateur avec le héros, et montrer les origines de sa vocation. Le but du cinéaste est bien de mettre l’humain au cœur de son film, de montrer que, même si l’exploit est naturellement conditionné par des éléments technologiques, entre autres, il dépend principalement du pilote à bord. On s’attache à ce jeune pilote qui ne se pose pas de question, prêt à relever les défis, même si les autres ne le croient pas. Car c’est sa propre conviction qui va appeler celle des autres. C’est quelque part, un anti-Boulevard du Crépuscule. Alors que ce dernier matérialisait le passé sous la forme de fantômes et de grandes demeures abandonnées et vides, L’Odyssée de Charles Lindbergh se lance dans un élan presque nostalgique, à l’égard d’une époque où tout semblait être possible, et tout était à faire.


Malgré quelques craintes avant de lancer le film, L’Odyssée de Charles Lindbergh a su me transporter et m’emporter dans une fabuleuse aventure humaine ici superbement racontée et portée par un James Stewart qui crève l’écran. Divers éléments pouvaient fragiliser le projet (l’âge de James Stewart, le fait qu’il s’agisse d’un film de commande, etc.), mais le résultat s’avère être une excellente surprise. On sent, certes, moins la « patte » de Billy Wilder, mais il serait vraiment dommage de passer à côté d’une si belle aventure.


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le 9 août 2019

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