Revu pour la deuxième fois plus de vingt après le premier visionnage. J'en gardais un bon souvenir qui s'est confirmé ici.
Comme habituellement dans le courant du réalisme poétique, les personnages doivent faire face à leur destin tragique. Pour Jean Gabin, le rôle de Pierre Gilleth préfigure les personnages analogues qu'il déclinera jusqu'à le fin des années 30, que ce soit pour Gueule d'amour, Le jour se lève, Quai des Brumes ou encore Pépé Le Moko. Bien que moins connu, La Bandera mérite l'attention car il précède ces grands chefs-d’œuvre à la tournure similaire.
L’intérêt est renforcé ici par une dualité remarquable avec la présence énigmatique de Robert Le Vigan dans le rôle de Fernando Lucas. Julien Duvivier nous apporte peu à peu les motivations de ce dernier. Robert Le Vigan est impeccable dans ce rôle où il apporte un contre-poids à la présence de Jean Gabin en étant tantôt intrigant, tantôt affable. Face à lui, Jean Gabin est à la fois dominant, voire agressif avec tout son entourage - ce qui le rendrait presque parfois antipathique - mais aussi transpercé par une certaine fragilité.
Le rapprochement final de ces deux personnages malmenés malgré eux par les événements, reste dans les esprits.
Avec un format assez court, le film est assez dense, car de nombreux éléments de la vie de Gilieth sont abordés. Julien Duvivier ne laisse pourtant pas la sensation d'avoir sacrifié une partie de l'histoire, car les événements s’enchaînent d'une façon logique et clair. Son savoir-faire et celui de Charles Spaak au scénario y sont pour beaucoup. C'est ainsi, que même la vie en caserne au cours de la formation de ces légionnaires est abordée.
La mise en scène de Julien Duvivier est très belle et amorce aussi les canons de l'époque. La scène d'ouverture donnant à la fois sur la rue et l'intérieur d'un appartement nous plonge de suite dans l'atmosphère de ce film. Le réalisateur profitera également des décors naturels de l'Espagne et de décors intérieurs soignés, signés Jacques Krauss.
On mentionnera également des seconds rôles assez remarquables de la touchante Annabella en Aïscha éprise de Gilieth ; Aimos dans celui du compagnon tentant toujours de positiver, ou encore Pierre Renoir dans celui de l'officier exigeant mais loyal. Et même, si les autres ont moins de temps de présence, ils parviennent tous à se démarquer à leur manière.
La scène finale dans le fortin est saisissante par son aspect tragique, comme une sorte de Radeau de la Méduse de Géricault restitué au cinéma, mais en plein désert, où les hommes sont cernés dans cet espace restreint où rode la mort, et où les corps s'entassent.
Cette représentation de la souffrance s'inscrit ainsi pleinement dans le romantisme.