La Bête
6.1
La Bête

Film de Bertrand Bonello (2023)

Une histoire qui se déroule à trois époques différentes : 1910, 2014 et 2044, une histoire labyrinthique aussi obsessionnelle et délirante que magnétique : c'est une fable contemporaine, romantique, impitoyable aussi étrange que pessimiste.


C’est aussi ambitieux que créatif, un mélange provocateur de drame d'époque, de thriller et de science-fiction.


Par contre, ce n’est pas un film facile ni accessible au grand public : il nous invite à pénétrer dans un labyrinthe et à expérimenter des sensations macabres ou visionnaires.


Le cinéaste n’a pas peur de flirter avec le désastre ou l'excès, pour parvenir à ses découvertes poétiques, dérangeantes et, proches de l'onirique et du cauchemar.


Bonello se sert à bon escient de sa connaissance d’ Hitchcock, De Palma, Lynch, en passant par Resnais.


L'image comme tromperie et manipulation, le récit qui plonge dans le gothique et le romantique, avec des pressentiments de mort et de catastrophes.


La « bête »est une menace inconnue ou la prémonition d'une catastrophe imminente. Il faudrait dire « les » bêtes, qui, à chaque instant et en chaque lieu, prennent une forme spécifique et constituent l'obstacle qui empêche l’amour de se réaliser.

La peur de suivre son instinct, la mentalité puritaine du début du XXe siècle, ou la superficialité actuelle consistant à préserver sa jeunesse à tout prix, par la chirurgie esthétique, la simulation d'une vie glamour, mais éphémère, et la dérive terrifiante de la pensée « incel », plus aliénée que jamais, jusqu'à son incarnation ultime et définitive : l'IA, ou encore un besoin toujours croissant d'éliminer les émotions, dernières traces gênantes d'une humanité facile à éradiquer.


Le film est rempli de répétitions, de signes, de situations et de dialogues qui se répètent comme des variations musicales.

La colombe entrant dans la maison comme présage de malheur, les poupées artisanales et naïves que fabrique le mari de l’héroïne belle époque solution, aux plus parfaits simulacres d'êtres humains, la musique, de Madame Butterfly et de Schoenberg, qui de la beauté esthétique, passent à l'émotion viscérale comme plus loin dans le temps, l'électronique brutale du disco ou le karaoké télévisé…

Le format et le style changent à chaque saut temporel, passant de l'élégance classique des plans-séquences de 1910, marqués par une certaine discontinuité et rupture de l'axe, à la dissolution futuriste des espaces, froide et impersonnelle, et aux écrans partagés, enregistrements vidéo, caméras de surveillance, etc. de 2014.

Le film est porté par ces deux acteurs, et leur permet une palette de jeu considérable, avec des dialogues en différentes langues et le regard inexpressif, puéril ou horrifié, qui est la clé de tout.



Des histoires (ou une histoire ?) d'amour obsessionnel et tragique qui résonnent et traversent les époques et les réalités, plus rêvés que vécues (mais y a-t-il une différence ?), où la confusion, le traumatisme et l'idéalisation apparaissent et ou le double, la mémoire et l'identité se brisent.

HenriMesquidaJr
7
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le 28 sept. 2025

Critique lue 2 fois

HENRI MESQUIDA

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