Dès l’ouverture, le ton est donné. Pascal Elbé opte pour une vision de la France loin des clichés, et plutôt tristement réaliste, en braquant sa caméra sur les comportements de la population au beau milieu du conflit. En passant des codes de l’héroïsme fantasmé de ses combattants, pourtant prêts à choisir la désertion à la première occasion, à l’antisémitisme en tous points assumé et souvent né de l’ignorance, le réalisateur y va fort, mais toujours avec un humour percutant et malin. Benoît Poelvoorde était sans doute l’acteur idéal pour incarner Jean Chevalin, qui à lui seul, personnifie la débâcle (période à jamais peu flatteuse pour le pays, et d’autant moins abordée) ainsi qu’une forme de médiocrité intellectuelle, mais pas forcément malveillante par nature. Tout en cabotinage délicieux et en mimiques dont on le sait friand, il s’épanouit dans un rôle qui semble on ne peut mieux taillé pour ses épaules. Avec la générosité qu’on lui connaît, il ne ménage pas ses efforts pour proposer la vision d’un père de famille parfois abject de convoitise, et bien plus préoccupé par ses possessions matérielles et son confort de vie que par l’avenir d’un État sous l’emprise de l’ennemi. Son sempiternel culot est souvent mis à contribution et poussé assez loin, en particulier dans la parodie du « Juif » dans tout ce qu’elle peut avoir de grotesque, avec le recul d’aujourd’hui. Dans un monde où la polémique est prompte à éclater, ce lâcher-prise tombe à pic, car mis en avant dans un cadre bien défini. Le héros (ou plutôt l’antihéros) du film est un imbécile reprenant les poncifs habituels à l’égard des personnes juives, et c’est bien de lui qu’on se moque, tout du long de la narration.
Elbé semble broder ses propres codes de l’humour, sans se calquer sur des précédents (comme La Folle Histoire de Max et Léon, qui, lui aussi mettait en avant des Français lâches en plein conflit), en assumant parfaitement de tomber dans le “too much” ou le “n’importe quoi” qui frôlent même l’absurde.
Beaucoup de répliques sonnent juste, bien que la palme revienne sur ce point à Lamy (en épouse râleuse et fatiguée, sans cesse obligée de s’adapter aux décisions aléatoires et stupides de son mari) et Talbot (absolument génial, comme toujours, en membre de la Gestapo premier degré, autant terrifiant qu’immanquablement drôle selon les séquences), dont la posture en “réaction” aux autres personnages donne souvent lieu à des moments assez jouissifs. Ceux qui ont vu la scène des étoiles de David peintes sur les vitrines des commerçants par la Milice comprendront de quoi je parle. Le soin apporté à l’écriture transparaît à l’écran, et paraît emprunter des bribes d’un La Vie est belle à la française, tout en conservant une identité propre et un cheminement audacieux, compte tenu du sujet traité. L’air de rien et avec une certaine bienveillance, Pascal Elbé pointe du doigt l’intolérance banalisée et ses conséquences, et à quel point toutes les bouches peuvent s’en faire le relais, surtout les plus inconscientes. Difficile de ne pas lire le discours en filigrane sur de nombreux thèmes de société on ne peut plus contemporains, dans notre Europe en crise. Rien d’artificiel ni de lourdaud là-dessus cependant : le message passe, compréhensible pour tous, mais la fiction ne se dérobe jamais pour se transformer en un pamphlet politique envahissant. Tout en maintenant parfaitement en place le fil rouge de son histoire, le réalisateur s’amuse avec le sentiment nationaliste des Français, qui pour beaucoup, passent pour une nation d’escrocs — faux résistants, faux Juifs, faux braves —, sans jamais tomber dans l’insulte gratuite, puisque ceux-ci sont contrebalancés par les vrais Justes. Même la nuit américaine utilisée (technique consistant en l’apposition d’un filtre bleu sur l’image pour faire croire que la scène est tournée de nuit, NDLR), respire une escroquerie qui semble volontaire, tellement l’effet paraît délibérément dégradé.
L’ensemble du long-métrage se tient parfaitement, jusqu’à la musique, composée par Romain Allender et Valentin Couineau, assez sympathique pour accompagner les divers tons, sans jamais tomber dans des mélodies bateau.
La conclusion a beau être osée en prenant le contrepied de ce qui se fait d’ordinaire, Elbé s’en sort très bien dans l’exercice, en proposant un récit à la fois effronté, intrépide, loufoque, mais toujours divertissant. Loin de se cantonner à une envolée drôle et au point d’orgue forcément optimiste, les quelques notes amères qui se glissent dans la trame apportent un peu plus de profondeur et de réflexion au film, qui n’en manque de toute manière jamais vraiment.
Il fallait au moins un acteur belge pour incarner sans pudeur un Français aussi détestablement trivial et bas du front que Jean Chevalin. Nul doute que La Bonne Étoile, largement salué par l’assistance en une standing ovation lors de sa projection au FIFFH, saura de nouveau trouver son public pour sa sortie dans les salles. Pascal Elbé fait mouche, en combinant un scénario original, déluré, et des revirements surprenants : ceux du genre qu’on aimerait voir davantage dans le paysage des comédies françaises.