Affecté à la canonnière américaine San Pablo en tant que chef des machines, Jake Holmann (Steve McQueen) entend bien imposer sa loi aux machinistes. Mais il rentre vite en conflit avec une partie de l’équipage, qui voit d’un mauvais œil cet étranger qui croit pouvoir tout changer dès son arrivée à bord, sans se soucier, lui, de se plier à la discipline du bord. C’est alors qu’éclate la guerre civile chinoise...


Alors dans sa période de gloire grâce aux succès (mérités) qu’il réalisa au début des années 1960 (notamment ses deux immenses comédies musicales que sont West Side story et La Mélodie du bonheur), Robert Wise revient sur le devant de la scène avec un film ambitieux : un drame sur fond de guerre d’une durée de quasiment trois heures. Loin du film de guerre classique, La Canonnière du Yang-Tse utilise en effet ce récit historique pour nous proposer de réfléchir sur l’homme et la guerre. Celui qui se lancerait dans l’analyse de ce film n’en finirait d'ailleurs pas, tant celui-ci nous offre de très nombreuses pistes de réflexions.


Malgré une terrible carence de personnages sympathiques (ce n’est pas en désobéissant constamment aux ordres et en n'en faisant qu'à leur tête que les personnages de Steve McQueen et de Richard Attenborough parviendront à susciter mon empathie), l’écriture très intelligente du scénario réussit à décortiquer l’âme humaine dans toutes ses facettes, et à nous y plonger. Cette étude des rapports humains est donc l’occasion de nous faire réfléchir sur le commandement et sur les responsabilités auxquelles se retrouve confronté tout homme en temps de guerre. Car en désobéissant ouvertement aux ordres qui lui sont donnés, Jack et Frenchy agissent égoïstement, faisant passer leur intérêt personnel avant l’intérêt général, négligeant ainsi leurs responsabilités, en ne pesant pas les conséquences si grandes de leurs actes si petits,actes qui peuvent mettre le feu aux poudres à tout instant.
Mais finalement, n’est-ce pas là le problème de la colonisation américaine, dont le film de Wise illustre à merveille l’échec retentissant ? De fait, si la colonisation américaine n’a pas marché (pas plus que la colonisation française telle que mise en œuvre sous notre IIIe République), c’est à causes des différentes visions qui s’y disputaient en son sein-même. En cela, la scène du dîner à bord du bateau à vapeur en début de film est particulièrement révélatrice, montrant les différents colonisateurs incapables de s’entendre, voulant imposer chacun sa vision, soit trop sévère (l’officier) soit complètement idéaliste (le missionnaire protestant), mais jamais réaliste. C’est en effet parce qu’en utilisant les populations locales afin de lutter contre une autre puissance colonisatrice ennemie (ici, la Russie soviétique), ils ont refusé de prendre en compte la réalité du territoire qu’ils occupent, que les colonisateurs finissent par se faire chasser par les peuples qu’ils ont eux-mêmes colonisés. Et c’est tout le génie de Robert Wise d’avoir restitué avec autant de justesse la complexité de la situation politique en Chine.


Même si le drame et l’aventure prédominent largement, on voit en effet petit-à-petit se dessiner un tableau peu reluisant du triste état social et politique dans lequel les Américains ont plongé la Chine, qui captive malgré sa lenteur. Car il faut dire que les trois heures de films se sentent passer, et l’on regrette que Wise n’y ait pas insufflé un rythme plus soutenu. Malgré tout, la dernière heure s’avère passionnante, le réalisateur parvenant à retrouver les dilemmes si impressionnants tout droit sortis d’une tragédie shakespearienne comme il l’avait fait dans son chef-d’œuvre West Side story, faisant monter très progressivement la tension autour de son personnage principal de manière absolument captivante. A tel point que lorsque le film se clôt sur un quart d’heure final haletant, éblouissant de tension, j'aurais eu envie de crier au chef-d’œuvre, mais les longueurs coupables dont souffre le film m'en ont malheureusement empêché.
Reste qu’avec La Canonnière du Yang-Tse, Robert Wise signe encore une grande fresque, sombre et cruelle, inégale mais puissante, qui fait réfléchir de manière trop intelligente pour qu’on puisse laisser le film se faire oublier.

Tonto
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le 29 sept. 2017

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