Le film s’ouvre avec une certaine maladresse : tout sonne un peu faux — la séance de dédicace, les retrouvailles de Martha et Ingrid à l’hôpital, l’incendie — scènes ratées où l’on devine qu’Almodóvar brûle d’atteindre l’essentiel. C'est en pleine nature, dans la maison de Woodstock, ouverte sur de vastes baies vitrées et baignée de lumière, là où tout s'apaise et tout finit, que le film trouve sa beauté et son accomplissement.

Atteinte d’un cancer incurable à un stade avancé, Martha demande à Ingrid d’être auprès d’elle, « dans la chambre d’à côté », lorsqu’elle aura choisi de quitter la vie. « Quel joli temps pour se dire au revoir », chantait Barbara ; mais ce sont à de véritables adieux que les deux amies sont conviées. On y retrouve des clins d’œil à Douglas Sirk (les flocons de neige tombant devant la fenêtre, comme dans "All That Heaven Allows") et à Bergman (les visages d'Ingrid et de Martha qui semblent se fondre l’un dans l’autre, comme dans "Persona"), deux maîtres qu'Almodóvar admire depuis toujours.

Martha choisit finalement un moment d'absence d’Ingrid, pour avaler le cachet qui la délivrera du mal qui la ronge. Elle s’allonge sur la terrasse, son beau visage pâle sous le soleil exactement, comme sorti du tableau d’Edward Hopper qu'elle avait observé dans la maison. Plus tard, sa fille Michelle, son double parfait (elle aussi incarnée par Tilda Swinton), viendra s’allonger sur le même transat, le visage incliné vers la droite, dans un mimétisme troublant avec cette mère qu’elle a si peu connue.

Et soudain, comme par miracle, la neige se met à tomber, portée par les mots magnifiques et déchirants de Joyce, repris dans "The Dead" de John Huston :
« Son âme s’évanouissait peu à peu comme il entendait la neige s’épandre faiblement sur tout l’univers, comme à la venue de la dernière heure, sur tous les vivants et les morts. »


Zerkalo
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le 7 sept. 2025

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