Le film historique kazakh La Chute d’Otrar (Otyrardyń kúıreýi), réalisé en 1991 par Ardak Amirkulov, retrouve aujourd’hui toute sa splendeur grâce à une restauration 4K réalisée par le World Cinema Project du Martin Scorsese Foundation. Cette version restaurée sera projetée à L’Étrange Festival 2025 à Paris, offrant au public français l’occasion de redécouvrir une œuvre majeure du cinéma d’Asie centrale (infos et programmation complète ici).
Une œuvre à la croisée de l’histoire et de la philosophie
La Chute d’Otrar dépasse le cadre d’un simple film historique. Inspiré par les travaux de l’historien Yermukhan Bekmakhanov et porté par la scénariste Zauresh Eralieva, le récit plonge dans les complexités de l’Histoire kazakhe à travers le prisme de l’expérience individuelle. Le film raconte l’épopée d’Inju, envoyé à la cour de Khorezm sous l’influence de Gengis Khan. De l’esclavage à l’ascension sociale, Inju incarne la fidélité, le courage et le sacrifice dans un monde où la loyauté et la trahison se confondent.
À travers cette trajectoire, Amirkulov explore des thèmes universels : la foi, l’honneur, la moralité et l’humanité dans un contexte de violence et de bouleversements politiques. Comme le souligne le philosophe Aset Kuranbek, le film invite à questionner non seulement l’Histoire que nous connaissons, mais également la manière dont elle est racontée et interprétée, souvent par d’autres au service de leurs propres intérêts.
Une esthétique au service de la narration
La restauration 4K révèle la puissance visuelle et émotionnelle de chaque plan. Les paysages de la steppe kazakhe, les fortifications de la ville d’Otrar et les décors intérieurs minutieusement composés confèrent au film une dimension sensorielle et immersive exceptionnelle. Six mois de résistance héroïque face à la destruction, six jours pour que la ville tombe… le temps et l’espace sont traduits par un montage qui combine lenteur méditative et tension dramatique, donnant au spectateur une expérience presque physique de l’Histoire.
La caméra d’Amirkulov, attentive aux détails et à la composition des cadres, transforme chaque scène en tableau vivant, où les personnages et leur environnement expriment autant l’ampleur tragique de l’événement que la fragilité humaine. L’usage de la lumière et de la couleur renforce cette poésie visuelle, alternant entre éclats de lumière symboliques et ombres pesantes, métaphore de la dualité entre héroïsme et désastre.
Un film au cœur de la renaissance du cinéma kazakh
Dans le contexte du cinéma kazakh post-indépendance, La Chute d’Otrar occupe une place majeure. Pendant des décennies, le financement de films historiques est resté quasi inexistant au Kazakhstan. Le film d’Amirkulov est donc à la fois un manifeste artistique et une entreprise de mémoire collective, réaffirmant la richesse et la singularité d’une cinématographie longtemps marginalisée. Plus qu’une reconstitution historique, il s’agit d’une méditation sur l’identité, le devoir et la résilience.
Projection à L’Étrange Festival : un événement incontournable
La présentation de ce film à L’Étrange Festival constitue un événement rare pour le public européen. Elle permet de découvrir un cinéma où la profondeur philosophique et l’exigence esthétique se conjuguent pour créer une expérience à la fois intellectuelle et émotionnelle. Entre la contemplation des paysages immenses et l’intimité des dilemmes moraux, La Chute d’Otrar résonne comme une fresque intemporelle sur la dignité, la loyauté et la tragédie humaine.
À travers cette projection, L’Étrange Festival continue sa mission : offrir au spectateur un accès aux trésors cinématographiques mondiaux, explorer des formes et des histoires souvent ignorées, et révéler des œuvres qui interrogent autant qu’elles fascinent. Avec La Chute d’Otrar, le public est invité à un voyage dans le temps et l’espace, au cœur d’une histoire kazakhe qui dépasse ses frontières pour toucher à l’universel.