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La Cible humaine
7.5
La Cible humaine

Film de Henry King (1950)

Ce western déjoue toutes les attentes du spectateur. On croit venir voir des duels et des chevauchées mais on assiste au contraire à la lente agonie d’un mythe, prisonnier de son propre éclat. La légende devient fardeau et la gloire ne promet plus qu’un lent pourrissement.

Jimmy Ringo est présenté comme l’homme le plus rapide de l’Ouest. Cette réputation, acquise au fil des duels et des cadavres laissés derrière lui, se retourne contre lui.

Chaque homme n’attend qu’une chose, qu’il dégaine encore. La célébrité, loin d’apporter la richesse et la paix, ne lui a donné qu’une montre abîmée, une vie d’errance et des ennemis à chaque tournant.

Arrivé dans la petite ville de Cayenne, Ringo s’installe au saloon. Autour de lui, la rumeur enfle, la foule s’agite, les jeunes s’excitent à l’idée de provoquer « la légende ».

Le film se déroule dans cette ville, comme au théâtre. Les personnages entrent, sortent, observent Ringo. Celui-ci enfermé dans le saloon est comme un acteur prisonnier de son rôle, celui du tueur invincible que chacun veut abattre pour briller. Les femmes de Cayenne viennent réclamer au shérif la tête de Ringo sans savoir qu’elles s’adressent en présence même de l’homme même qu’elles condamnent.

Face à Ringo se tient le Shérif Mark Strett, ancien compagnon de route, devenu homme de loi. Il représente ce que Ringo aurait pu être, un tireur qui a choisi à temps de se ranger. Mais même ce modèle est brouillé puisque Mark est célibataire. Leurs dialogues tracent en filigrane une tragédie de destins croisés, l’un a pris la route de la respectabilité, l’autre celle de l’errance mais tous deux savent qu’il n’existe pas de paix définitive pour ceux qui ont vécu par les armes.


Au cœur de cette ville vit Peggy, la femme de Ringo, qui a changé de nom pour protéger son fils de la honte. Elle reconnaît le tueur en Ringo et dit le regretter, mais elle n’a jamais cessé de lui rester liée. Elle refuse d’aller voir son ancien amant lorsque le shérif l’y invite, mais accepte lorsque la proposition lui vient d’une chanteuse de saloon, femme abîmée mais libre. Elle n’est pas seulement la femme de Ringo, elle est la trace de ce lien indestructible entre le passé et le présent, entre le crime et l’amour.

Parmi les nombreux visages qui défilent au saloon, un père d’enfant tué tente d’abattre Ringo avec une carabine, avant d’être désarmé. Ringo, accusé à tort, devient le coupable universel, porteur de toutes les rancunes de l’Ouest.

Au lieu du duel final attendu, Ringo est abattu dans le dos par un jeune qui rêvait de se faire un nom. La légende se brise dans un geste lâche. Pourtant, au lieu de maudire son meurtrier, Ringo le protège en affirmant qu’il a tiré en état de légitime défense. Désormais, c’est lui qui portera la malédiction.

Ringo meurt en pardonnant, mais en transmettant aussi une marque de honte. Le meurtrier devient héritier d’un fardeau qu’il croyait désirer. La gloire se révèle être une chaîne, et l’Ouest une terre où la malédiction passe d’homme en homme comme une contagion.

La Cible humaine refuse les éclats spectaculaires pour tisser une toile de fatalité et de silence. Ringo est un homme usé qui porte sa gloire comme une croix.


Le film oscille entre deux directions, le destin inéluctable de l’homme pris au piège de sa propre légende et la transmission de la faute.


Le sujet de ce film n’est pas seulement « l’usure » ou « la gloire tragique » mais plutôt la question profondément humaine de la transmission et de la filiation.


Ringo coupe la chaîne de violence pour que son enfant n’hérite pas de son destin.


Mitaki
10
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le 10 sept. 2025

Critique lue 15 fois

Mitaki

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