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La vie, très long fleuve tranquille

Avec Le Fleuve (1951), Jean Renoir réalise l’un de ses films les plus mystérieux et les plus universels. Tourné en Inde, baigné par la lumière du Gange, le film s’élève bien au-delà du simple récit d’apprentissage, c'est une méditation sur la fragilité du regard humain face à la beauté du monde. Le "fleuve" est la métaphore d’un du temps qui emporte les êtres. À son rythme s’accorde toute la narration lente, fluide, d’une sérénité trompeuse, où les émotions, comme les eaux, se mêlent et se transforment.


Au cœur de ce récit, Harriet découvre à la fois l’amour, la jalousie et la mort. Son regard d’enfant, encore pur mais déjà avide de comprendre, se pose sur un monde qu’elle admire sans le saisir. C’est ce regard, émerveillé, maladroit, et sincère, que Renoir filme avec tendresse. La célèbre scène de la danse, invention du cinéaste, symbolise à elle seule cette position de l’Occident face au mystère de l’Orient. Harriet imagine un mariage pour Mélanie, sa voisine, en transformant les futurs époux en dieux vivants. Par son imagination, elle réinterprète les mythes, les rites et la beauté d’un monde qu’elle contemple de l’extérieur. Cette méprise constitue un hommage candide rendu à l’inconnu. Renoir fait de cette scène un poème visuel, une célébration de l’imaginaire comme première voie vers la connaissance de l’autre.


Face à cette rêverie inoffensive s’élève un autre rêve, plus dangereux, celui du jeune Bogey. Le garçon, fasciné par un charmeur de serpents, croit pouvoir l’imiter et dresser lui aussi un cobra. Ce jeu d’enfant, à la fois innocent et présomptueux, s’achève tragiquement lorsqu’il est mordu à mort. La mort de l’enfant, inexplicable sur le plan réaliste, prend ici tout son sens, elle incarne la limite entre le rêve et la connaissance.

Le Fleuve oppose deux formes de regard, celui de l’imagination poétique et celui de l’imitation naïve. L’un débouche sur la compréhension alors que l’autre amène sur la destruction.


Le fleuve continue de couler, indifférent et éternel.


Le film , le Fleuve, parle de notre difficulté à comprendre ce qui nous dépasse, de notre besoin de donner forme à l’inconnu, de notre passage d’un monde d’illusions à la conscience.

Mitaki
9
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le 13 oct. 2025

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Mitaki

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