D'abord sorti en 1964 sous le titre de La Grande Frousse sous la pression de ses producteurs, le film de Jean Pierre Mocky retrouvera une forme plus adéquate aux désirs de son réalisateur en 1972 sous le titre de La Cité de l'Indicible Peur. Outre ce changement de titre le film connaîtra plusieurs montages au fil du temps, cette critique porte sur la version restaurée en 4K disponible en ce moment sur Arte (enfin pour peu que vous lisiez cette critique pas trop en décalage avec sa rédaction).


La Cité de l'Indicible Peur c'est l'histoire d'un étrange, lunaire et naïf inspecteur de police envoyé dans une petite ville de province afin d'y retrouver Mickey, un assassin et faussaire dont la particularité est d'être chauve ou portant perruque, frileux, souvent ivre et détestant le cassoulet. Dans ce village de Barges, dans les deux sens du mot, le gentil flic va se retrouver confronté à une créature mythologique qui effraie tous les habitants, la Bargeasque.


La Cité de l'Indicible Peur est une fantaisie policière teinté de fantastique et une formidable convergence de talents autour d'un Jean Pierre Mocky alors au sommet de sa forme. Servant une galerie de personnages pittoresques et étranges le film nous offre déjà un casting de haute volée au sommet duquel on retrouve Bourvil dans le rôle de l'inspecteur Simon Triquet, un candide au cœur tendre souvent désolé de confondre les criminels par accident. Bourvil joue sur du velours dans l'imperméable de cet inspecteur lunaire mais pugnace dont la démarche est ponctuée de petit saut de cabris accompagnés d'un irrésistible et enfantin "WoopWoop". A ses côtés on retrouve Jean Poiret en brigadier à képi, Francis Blanche en commère à jumelles, Victor Francen en médecin porté sur la bouteille, Raymond Rouleau en maire à la bonhomie bienveillante, Jacques Dufhillo en hôtelier peu hospitalier, Roger Legris en pharmacien, René Louis Lafforgue en boucher dépressif, Marcel Péres en inspecteur nerveux ou Jean Louis Barraut en sage et intellectuel du village. On pourra ajouter à ce casting cinq étoiles quelques trognes habituelles de l'univers de Jean Pierre Mocky comme Dominique Zardi , Phillipe Castelli, Rudi Lenoir ou Jean Claude Rémoleux et la présence de Veronique Nordey alors épouse de Jean Pierre Mocky. Des personnages hauts en couleurs qui possèdent souvent des tics de langage et de comportements renforçant l'incongruité de ce village de barges et de Barges à l'image de ce policier qui fait des bruits de bisous dans le vide avec sa bouche ou ce maire qui ponctue régulièrement ses phrases par un « Quoi ». Les dialogues poétiques et décalés sont l’œuvre de Raymond Queneau et viennent renforcer encore un peu plus l'aspect surréaliste de l'ensemble.


Si il est bien un aspect que cette restauration 4K sublime et met en valeurs c'est la superbe photographie de Eugen Schuffman, ancien peintre expressionniste, inventeur d'effets spéciaux pour Fritz Lang (Métroplis) et Abel Gance (Napoléon) mais surtout directeur de la photographie chez Franju (Les Yeux Sans Visage) et Marcel Carné (Le Quai des BrumesDrôle de Drame). Un immense artiste de l'image qui nous offre ici quelques saisissante atmosphère comme lors de l'arrivée nocturne de l'inspecteur Triquet dans ce petit village dont les habitants se claquemurent chez eux. Un noir et blanc profond, un habile jeu d'ombres et de lumière pour une scène qui oscille entre l'expressionnisme allemand et le gothique britannique de la Hammer. Le travail de Eugen Schuffman s'avère même primordiale pour maintenir debout l'ambiance fantastique du film alors que l'absurdité semble régner en maître tout autour. Le film est gorgé d'images fortes et belles comme l'exploration de la carrière d'ardoises dans la brume. Et même si l'aspect purement fantastique du film avec sa créature digne dans l’esprit de autochtones de la bête du Gévaudan n'est pas ce qui cristallise le plus les intentions de Mocky, les images fortes de Schuffman permettent tout de même d'y croire un peu. Avec un tel orfèvre de l'image à la manœuvre on en arrive presque à regretter que La Cité de l'Indicible Peur penche plus vers le versant comique que fantastique.


Si une bonne partie du caractère comique de La Cité de l'Indicible Peur vient de ses personnages farfelus, Jean Pierre Mocky en profite également pour s'attaquer à la face cachée de ce petit village pétris d’ignorance et de superstitions. Lorsque l'inspecteur Triquet commencera à passer le village au peigne fin il découvrira ainsi une plantation illicite de tabac, des vieilles dans des placards, des cadavres dans les sous sols, des voleuse de bicyclettes et même un bordel caché dans la boutique d'une diseuse de bonne aventure. Le film égratigne aussi la fonction politique avec un maire magouilleur et très fier d'avoir des tas d'huissiers qui ne servent à rien à son service même si il doit faire tourner la planche à faux billets pour les payer. Le film aurait sans doute pu être bien plus féroce sur tout cet aspect folklorique de les peurs ancestrales nourris de superstitions mais finalement (et malheureusement) la fameuse Bargeasque n'aura qu'un rôle bien secondaire dans cette histoire.


La Cité de l'Indicible Peur est l'un des tous meilleurs long métrage de la longue filmographie de Jean Pierre Mocky, un ovni entre fantaisie surréaliste loufoque, fantastique et étude des mœurs d'un petit village de province.


freddyK
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le 12 juin 2023

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Freddy K

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