Si La Corde est bien connu pour une chose, c'est pour sa place au panthéon des rares oeuvres à être uniquement composée en plans-séquences. Un comble pour un film qui, au-delà de cette pirouette technique, apparait comme l'un des longs-métrages les plus sages, formellement parlant, de son auteur. L'apport du "non-montage" est indiscutable mais limité, se bornant principalement à nous plonger dans l'intrigue en temps réel. Cela ne va pas non plus sans quelques contraintes, obligeant Hitchcock à se faire moins virtuose, et poussant souvent les acteurs à se marcher sur les pieds pour ne pas sortir du cadre.
La Corde puise essentiellement sa force d'un scénario, adapté d'une pièce de feu Patrick Hamilton, qui ménage une tension redoutable. Surtout, sa perversité, son ton subversif et son ironie macabre créent un malaise quasi-permanent en renversant les valeurs morales comme peu de films ont osé le faire à l'époque. Car il faut se replacer dans le contexte. Il est difficile d'imaginer qu'en 1948, deux ans avant le début de la chasse aux sorcières, Hitchcock ait pu imposer deux protagonistes aux penchants homosexuels latents - les indices et les sous-entendus pullulent -, qui s'amusent à tuer par pur plaisir, dans le respect d'une idéologie nauséabonde héritée de leur mentor universitaire et qui n'est pas sans évoquer le nazisme.
L'un des coups de génie d'Hitchcock est de placer Jimmy Stewart dans la peau de ce mentor. Le gendre idéal d'Hollywood devient malgré lui l'instigateur et le principal responsable du meurtre, si ce n'est le coupable. Son subit revirement lorsqu'il démasque Brandon et Phillip, bien qu'un peu lourd à avaler en termes de cohérence, offre un plan final de toute beauté, tandis que l'étau se resserre définitivement sur le lieu du huis clos dans une ambiance aussi résignée qu'apocalyptique, rythmée par les sirènes oppressantes et les clignotements frénétiques des néons.