Damsel surprend par son jeu de contrastes entre ses allures initiales de récit merveilleux, mobilisant un prince charmant, des cavalcades en amoureux et un royaume à l’architecture baroque, et sa cruauté intrinsèque : il s’agit alors de raccorder notre héroïne à sa condition sociale et à la violence originelle du pouvoir exercé par les êtres humains, de la jeter au fond de la caverne où elle rampe sous les manipulations politiques et les exactions premières. Cette leçon de politique n’est pas sans rappeler l’exploration des souterrains entreprise par Médée dans la relecture proposée par la romancière allemande Christa Wolf : faire choir une prétendue reine, la destituer symboliquement et géographiquement, l’éprouver au contact du crime originel, de la violence à l’origine de la violence, pour mieux renverser les attentes du public. Elodie mute progressivement en héraut du féminisme, devient la porte-parole de toutes ces princesses qui ont laissé chacune une inscription sur les murs de la grotte lumineuse, réactualisation du discours d’entrée à l’Académie française de Marguerite Yourcenar qui affirmait alors se tenir là accompagnée d’une « troupe invisible de femmes ».
Juan Carlos Fresnadillo a même l’audace de complexifier la caractérisation du dragon : sa monstruosité se révèle être un désir aveugle de vengeance à l’égard de celles et ceux qui ont pris ses enfants ; il parvient à susciter, d’un même élan, épouvante et pathétique, donnant vie à une créature mémorable et magnifiquement mise en scène. Nous regretterons néanmoins que le réalisateur se complaise dans le chemin de croix de sa demoiselle puis incarne lourdement sa bravoure par divers procédés grossiers (ralentis, plans iconiques devant des flammes etc.), qui ternissent quelque peu la rugosité d’ensemble. Damsel n’en demeure pas moins de très bonne facture.