Entendu parler de ce film en lisant un article du Monde, daté du 20 janvier 2015, quelques jours après les attentats commis contre Charlie Hebdo et une superette juive. L’article disait, entre autres, que le film sorti en février 2012 avait bien failli ne pas se faire, face aux réticences des producteurs, puis avait bénéficié de peu de copies et de soutien, certains le trouvant trop dérangeant. Sorti un mois avant l’affaire Merah et trois ans avant le 7 janvier 2015, Philippe Faucon semblait déjà poser de bonnes questions. Celles des fondements de l’islamisme radical en France, pouvant mener au terrorisme. La question de l'intégration et celle de la désintégration de certains.

Ce film qualifié par Le Monde de « film prémonitoire », j’ai de suite voulu le voir, pour me faire mon propre avis, et pour donner mes sentiments sur le film et la situation actuelle.

Dès le générique, on comprend un peu mieux le titre, la typographie séparant les trois premières lettres du reste du mot. On voit déjà un peu mieux où on veut en venir. Le film répondra complètement à ce cahier des charges. Il pose la question de l’intégration de ces « jeunes issus de l’immigration » dont certains, complètement détruits, finissent par trouver refuge dans les bras d’un islam radical.

Mais attention, le propos de Philippe Faucon est complexe, et équilibré. Il choisit de mettre l’accent sur ces jeunes perdus et endoctrinés, dont certains finissent par accomplir le pire, mais il n’y a absolument aucun amalgame, et on peut lui donner raison d’avoir voulu se poser la question des ces jeunes, même s’ils sont, bien heureusement, extrêmement minoritaires. Et les drames de janvier 2015 ne peuvent que lui donner raison. Le portrait qu’il brosse est très nuancé. On voit par exemple des musulmans contraints de fêter l’Aïd en dehors de leur mosquée, trop petite. On voit dans le film le prêche d’un imam modéré, refusant la violence, malgré les difficultés et les injustices. Ce film n’est en rien une attaque contre l’islam, au contraire, le réalisateur montre que pratiquer cette religion en France n’est pas facile. Ce n’est pas non plus un film raciste ou anti-« jeunes de banlieue ». Au contraire, Philippe Faucon nous dresse le portrait de personnages très variés, même si on a un peu l’impression d’avoir une typologie un peu caricaturale des différents types de jeunes. Il y a le grand frère, intégré socialement, en couple avec une blanche, même si on sait que ça ne sera pas évident avec la mère, voilée, qui fait des petits boulots. La petite sœur, habillée en femme moderne. Et le jeune en bac pro, qui semble sur la bonne voie, mais qui galère à trouver un stage, comme si son nom lui bloquait des portes. Il y a la petite frappe, petit délinquant un peu paumé, pas à mauvais fond, mais sans cadre, sans repère. Et le blanc du quartier complètement perdu, qui trouve une raison de vivre dans la religion.

Le film pose la question de l’intégration de ces jeunes dans la société française. Certains y arrivent, mais il leur faut parfois lutter, il leur faut des cadres, un soutien familial, il leur faut un tempérament, une forme d’abnégation, même. Il faut y croire, alors que de nombreux éléments vous donnent l’impression d’être des citoyens de seconde zone. L’intégration ne devrait pas être à sens unique. Pour moi, l’intégration doit être le fruit de l’effort de celui qui veut s’insérer, mais aussi et peut-être surtout du groupe ou de la société qui l’accueille. Or la société française ne semble pas faire grand chose, ou assurément pas assez pour les aider à s’intégrer. Quand on entre dans un groupe, on ne peut rien si ce groupe est hostile, si ce groupe ne vous aide pas, si une partie importante du groupe vous rejette ou ne vous considère pas comme devant ou pouvant faire partie du groupe en question.

Ce qu’on voit dans ce film, ce sont des jeunes, plus ou moins paumés, des écorchés plus ou moins vifs, dont certain vont chuter. Car si le pays ne leur tend pas les bras, ne leur donne pas une identité française (la carte ne suffit pas !), certains prédicateurs sont en mesure de leur proposer un refuge, des solutions à leur mal-être, un sens à donner à leur vie. En se donnant à la religion, mais aussi en se donnant des objectifs concrets comme le djihad, et plus précisément des attentats, ils se sentent revivre, même si c’est pour aller jusqu’au sacrifice de leur vie, ils reprennent le contrôle, et trouvent une solution réconfortante à leur désespoir, bref, un avenir, qui jusque là était complètement bouché.

Les prédicateurs ont beau jeu de critiquer les Etats-Unis, Israël, ce qui se passe en Afghanistan ou en Irak, car ces jeunes, victimes d’injustices, sont forcément sensibles à ce qui se passe à Gaza, par exemple, ils se sentent solidaires de ce peuple opprimé, ou de ces musulmans encore plus en galère qu’eux. Philippe Faucon nous montre un prédicateur qui œuvre discrètement, sait trouver les mots justes et apporter des solutions simples au mal-être de ces jeunes, qui peu à peu, sont intégrés dans un groupe, avec une idéologie rassurante, et des objectifs précis : le djihad, pour aller au paradis, plutôt que galérer toute sa vie… On n'est pas loin d'un phénomène sectaire.

La transformation du personnage principal, Ali, incarné par le frère de Jamel Debbouzze, est un peu rapide dans le film, il n’est pas facile d’être très réaliste au cinéma dans un format aussi court, alors que le changement doit être plus long et nuancé. Mais le personnage est emblématique : un jeune plutôt doux, en réussite scolaire, en bonne voie, donc, va finir par craquer du fait du rejet de la société qu’il ressent face à ses nombreuses demandes de stage qui lui seront toujours refusées. A la manière d’une emprise sectaire, il entre sous la coupe du prédicateur qui va le couper de sa famille et le mener au sacrifice de sa vie.

Bref, La Désintégration est un film dérangeant, car il affirme que la France, en délaissant ces jeunes, ou en leur laissant l’impression d’être rejetés et stigmatisés, sème les graines d’une révolte contre cet abandon, celles du terrorisme. Car l’islam radical, lorsqu’il les intègre, comble un vide et leur donne une existence, une identité, une place dans un groupe, un rôle à jouer ; ces jeunes deviennent quelqu’un alors qu’ils n’étaient rien, leur vie a désormais un sens, qui les mène aux crimes les plus abjects. Le film a le mérite, indirectement, de poser la question de la responsabilité du pays dans la dérive de ces jeunes. Ce n'est pas agréable à entendre, mais c'est salutaire.
socrate
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le 24 janv. 2015

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socrate

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