Kirill Serebrennikov ouvre La Disparition de Josef Mengele comme un film noir : imper sombre, clair-obscur, notes de jazz feutrées. Le noir et blanc installe d’emblée une ambiance troublante car presque élégante, à la frontière du polar et du cauchemar. Puis le film glisse vers autre chose, un drame mental, paranoïaque, où le temps se brouille et où le docteur d’Auschwitz devient, peu à peu, l’ombre de lui-même.
Ce qui intéresse le cinéaste, ce n’est pas tant la monstruosité que le contraste : le Mengele sûr de lui, froid et méthodique, puis le vieillard traqué, enfermé dans sa solitude et ses hallucinations. Jamais il ne regrette, il a, selon lui, servi l'Allemagne puis la science, il a "fait ce qu'il fallait", sans remord, au contraire. Serebrennikov ne cherche pas à le réhabiliter, ni à le juger frontalement, il filme la lente extinction d’un homme qui n’a jamais pris conscience de ses crimes.
Le rapport au fils devient alors central, l'un des fils conducteurs. Le père, déifié, incompris, refuse d’admettre le rejet de sa propre descendance. C’est à travers ce lien brisé que le cinéaste laisse percer, brièvement, une émotion presque humaine, la seule faiblesse d’un être qui n’en avait plus. C'est à ce moment là que le film est le plus intéressant, un monstre qui n'a pas montré d'empathie peut avoir de sincères émotions.
Autour de lui, les anciens camarades nazis, les réseaux de fuite en Amérique du Sud, les compromissions : Serebrennikov suggère plus qu’il ne montre. Parfois, on sent qu’il retient sa mise en scène, que certaines séquences (notamment celles de la cavale) manquent d’ampleur, comme s’il était assommé par le sujet. Dans ce sens, la partie centrale, plus pesante, rappelle The Zone of Interest par sa froideur clinique et sa tension sourde.
Serebrennikov filme la chute avec distance. Il filme le corps qui vieillit, le cerveau qui se perd. Il ne moralise pas vraiment, sauf la dernière partie, où les hallucinations sur d'anciennes victimes, alourdissent plus qu'autre chose. La conclusion s’impose pourtant d’elle-même : la mort solitaire d’un être vidé, puni par la lente agonie de sa propre conscience absente.
La Disparition de Josef Mengele met en scène un monstre ordinaire, un homme qui a brisé les frontières entre devoir et barbarie, obéissance et vide moral. Vertigineux, parfois frustrant, toujours fascinant.
Il faudrait maintenant pousser le concept jusqu’à explorer les nazis “réhabilités” par les Alliés, il y aurait, là aussi, beaucoup de choses à dire et d'angles possibles.